Ce 14 juillet, je n’ai pas pu lire en détail les 4740 pages répondant à la recherche « Martin Niemöller » sur le web, mais toutes me semblent évoquer sa vie de façon positive et citer abondamment le texte issu d’un sermon prononcé peu après la guerre et qui a beaucoup fait pour sa célébrité : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes /Je n'ai rien dit / Je n'étais pas communiste. / Quand ils sont venus chercher les sociaux-démocrates / Je n'ai rien dit / Je n'étais pas social-démocrate. / Quand ils sont venus chercher les syndicalistes / Je n'ai rien dit / Je n'étais pas syndicaliste. / Quand ils sont venus chercher les juifs / Je n'ai rien dit / Je n'étais pas juif. / Puis ils sont venus me chercher / Et il ne restait plus personne pour protester. » (on trouvera un examen des diverses versions ici). Dans le concert des louanges, j’aimerais apporter une note un peu discordante. Martin Niemöller (1892-1984), est le fils d’un pasteur, il a été engagé volontaire puis commandant de sous-marins pendant de la grande guerre. En 1919, il participe aux corps-francs nationalistes qui se battent contre les communistes et il vote pour le parti d’Hitler dès 1924. Il devient pasteur à Berlin-Dalhem en 1931 et quand Hitler arrive au pouvoir, il salue l’événement comme une « renaissance nationale » dans son livre de réflexion Du sous-marin à la chaire. Mais, peu de temps après, il est choqué par la loi sur l’Église qui frappe de discrimination les Juifs convertis. Avec d’autres pasteurs, il crée la Ligue d'urgence des pasteurs (« Pfarrernotbund ») et participe à la rédaction de la Déclaration de Barmen. Une seconde déclaration, remise à Hitler le 26 mai 1936, à la veille des Jeux olympiques, est plus directe et dénonce le caractère antichrétien de la politique nazie, réclame la dissolution de la Gestapo ainsi que la fermeture des camps de concentration ! Sitôt les délégations sportives rentrées chez elles, la répression se met en marche (comme elle se remettra en marche en Chine dès la fin de la mascarade olympique) et l’un des inspirateurs du texte, le juriste d’origine juive Frederic Weissler, déjà révoqué par la justice nazie, va être interné à Sachsenhausen où il sera assassiné le 19 février 1937. Mis à la retraite forcée dès le mois de novembre 1936, Martin Niemöller n’en continue pas moins de s’exprimer et Ulrich von Hassel, l’ancien ambassadeur d’Allemagne en Italie, note en mars 1937 qu’il a entendu un sermon où le pasteur appelait à combattre le mal qui se propageait en Allemagne « sur un ton d’absolue conviction, comme un prophète ». Il est arrêté le 30 juin 1937 (comme huit cents autres pasteurs de la Ligue d’urgence), jugé, libéré, arrêté à nouveau et envoyé en camp de concentration avec le statut de prisonnier personnel d’Hitler (à ce titre, il bénéficie de conditions moins dures que la majorité des prisonniers et peut recevoir des visites de son épouse). Il est à Dachau quand le camp est libéré en 1945 et il joue un rôle important dans la reconstruction de l’église réformée d’Allemagne de l’ouest. On ne saurait cependant oublier que, comme le laissent supposer ses choix de jeunesse évoqués plus haut, Martin Niemöller est nationaliste convaincu, si convaincu qu’il écrit de sa prison à Hitler en 1939 en lui demandant de le libérer pour qu’il puisse aller se battre dans la Wehrmacht ! Quand mon père a cherché à se faire nommer pasteur de la paroisse allemande de Paris en 1947, Martin Niemöller, qui n’avait en rien remis en cause son nationalisme fervent, ignora sa condamnation par un tribunal nazi et lui reprocha sa naturalisation française en déclarant : « Á mes yeux, vous avez trahi votre patrie ! » Ce que n’avaient pas fait les anciens nazis dont il fut le plus vigilant soutien aux côtés de la hiérarchie catholique. Certes le 19 septembre 1945 à Stuttgart, devant le Conseil de l’Église évangélique, il avait déclaré : « Nous avons infligé une souffrance infinie à beaucoup de peuples et de pays (…) nous nous accusons », mais, en disant « nous nous accusons », Martin Niemöller ouvrait déjà la porte aux anciens nazis car, comme l’a souligné Hannah Arendt, « l’admission spontanée de cette responsabilité collective a eu pour résultat le blanchiment très efficace, quoique inattendu de ceux qui avaient fait quelque chose (…). Quand tous sont coupables, personne ne l’est. (…) La culpabilité et l’innocence n’ont de sens qu’appliquées à des individus. »
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