La parution dans la revue marocaine en ligne Tel Quel (Le Maroc tel qu'il est) d’un entretien avec un ancien tortionnaire de la police apporte une terrible occasion de réfléchir à ce qu’est un bourreau « de base ». Alcoolique et soumis à ses chefs, pas totalement insensible à la situation de ses victimes, l’homme qui parle se réfugie, bien sûr, derrière le classique « notre devoir, avant tout, c'était d'obéir aux ordres » auquel il ajoute un « à nous les maladies de l'âge, la retraite de misère et la peur au ventre ! » pour souligner qu’il n’en a tiré aucun avantage particulier.
Un passage mérite d’être reproduit :
« Aujourd'hui, l'Instance équité et réconciliation dit avoir clos le dossier des années de plomb. Mais des ONG, comme l'Association marocaine des droits de l'homme, continuent à réclamer des actions en justice contre les tortionnaires. Ça ne vous fait pas peur, ça ?
Bien sûr, que je ne suis pas rassuré… C'est bien, tout ce travail qui a été fait. C'est bien que d’anciens prisonniers aient été indemnisés. Il y a certainement beaucoup d'entre eux qui étaient innocents, qui n'avaient pas fait ce dont ils étaient accusés. Mais je crois qu'il faut s'arrêter là. Il faut tourner la page, aller vers autre chose. Et puis je vous jure que nous, nous ne faisions qu'obéir aux ordres. Qu'est-ce qu'on pouvait faire, à l'époque ? Si on refusait de faire descendre quelqu'un, on descendait à sa place ! »
C’est bien tout le problème de ces commissions de réconciliation qui aboutissent à éviter que les tortionnaires, quel que soit leur niveau hiérarchique, passent devant un tribunal. On voit qu’elles ne font que prolonger le silence qu’on a voulu imposer aux victimes.
Or, justement, la revue Tel Quel ajoute avec un grand à propos un encadré qui donne la parole à un psychiatre qui évoque, bien sûr, les expériences de Stanley Milgram mais ajoute un point qui me semble essentiel : « le but de la torture n'était pas de faire parler les prisonniers, mais bel et bien… de les faire taire ! La logique du système était de briser toute forme de rébellion. Il s'agissait de marquer profondément quelques prisonniers politiques, puis de les relâcher et de les laisser raconter leur calvaire autour d'eux. Ainsi, on provoquait une terreur collective qui s'étendait progressivement à toute la population. »
S’il est exclu, pour rester du côté de l’humanité, de faire subir aux tortionnaires les horreurs qu’ils ont pratiquées, il est indispensable de juger et de condamner, chacun pour ce qu’il a fait, tous les coupables d’actes de barbarie pour provoquer « une terreur collective qui s’étende à toute la population » et, ainsi, décourager l’obéissance aveugle aux ordres en remettant la responsabilité individuelle au centre de la vie sociale.
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