Je voudrais donner une suite à la page précédente à propos du paysage de l’Île aux Moines et que j’aurais pu appeler « Ces chênes qu’on abat » comme celle-ci aurait pu s’appeler « Ces chênes qu’on ne plante pas ».
Si mon père, comme je l’ai déjà dit, a planté beaucoup d’arbres – et moi aussi – je souhaite rendre justice ici à quelqu’un qui n’en plante pas. Que ceux qui suivent ce blog pour lire des textes concernant le nazisme ou la généalogie attendent un prochain billet. Que ceux qui savent que « résister » peut se conjuguer aussi au présent et sur divers modes poursuivent leur lecture.
Nous sommes un certain nombre à avoir voulu croire à « l’homme qui plantait des arbres », ce personnage d’un récit de Jean Giono qui avait accumulé tous les indices pour faire croire à la réalité de ce vieux berger qui avait au fil des ans redonné vie à un coin de haute Provence en plantant des arbres. En fait, tout était sorti de l’imagination du romancier et son bel exemple de persévérance désintéressée est devenu une fable.
Non seulement je vais vous parler de quelqu’un qui ne plante pas d’arbres – ou si peu – mais c’est une histoire vraie.
Juste à côté de l’Île aux Moines, la petite île Creizic est une très ancienne réserve biologique de l’association Bretagne Vivante – elle date de 1974 - et longtemps des sternes avaient élu domicile sur le haut d’une de ses grèves. Ce n’en est pas moins une île privée, restée dans la même famille sans doute depuis plus de trois cents ans. Une maison y a été édifiée à la fin du XIXe siècle et une famille y a vécu. La majeure partie était couverte de landes. Dans l’esprit de ce qui se pratiquait après-guerre, les propriétaires n’avaient pas vu de meilleur usage que d’y faire des plantations. Les cyprès et les pins montrèrent, là aussi, leur belle capacité de résistance. Ce qui n’est pas planté, vire plutôt au roncier et au fourré à pruneliers.
La maîtrise de la végétation qui ne concernait à l’origine que la pointe où nichaient les sternes va, à partir des années 1980 s’étendre à une grande partie de l’île. Aujourd’hui, la prairie et la lande occupent plus d’espace que les arbres. Mais on mesure mal la somme d’efforts qu’il a fallu déployer non seulement pour faire reculer les fourrés (en gardant toutefois juste ce qu’il faut pour la nidification des canards), mais pour maintenir les gains acquis. On ne débarque pas de gros matériel sur une île qui ne dispose même pas d’une cale et où rien ne peut être laissé après un passage. Pourtant, alors que le paysage de l’Île aux Moines se ferme chaque jour un peu plus, celui de Creizic revient doucement vers ses origines et redonne leur place aux graminées, aux bruyères et à des dizaines de plantes vivaces et annuelles. Un magnifique exemple d’un retour à l’équilibre qui pourrait être d’autant plus facilement imité sur l’Île aux Moines que les conditions matérielles de travail y sont autrement plus faciles. Un magnifique exemple aussi d’un propriétaire privé réalisant un travail paysager remarquable et d’intérêt général sans qu’il en coûte un centime à la collectivité.
Justement, pour trouver enfin les conditions matérielles d’un entretien pérenne, il restait à mettre un toit sur les murs de la vieille maison. Non seulement celle-ci est un élément de la longue histoire de l’île mais elle permettrait d’abriter un matériel de plus en plus indispensable. Les administrations - dont on critique tant la propension à tout interdire - avaient parfaitement compris l’intérêt d’une restauration à l’identique et donné leur accord.
Seule la mairie de l’Île aux Moines n’a pas cru bon d’accorder son autorisation, ce qui est bien dommage dès lors qu’elle entend donner des leçons sur la préservation du paysage insulaire, comme on l’a vu à propos des chênes abattus. Une erreur. Pire, une injustice.
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