S’il y a de vieux (ou de jeunes) Brêmois qui souhaitent recueillir de multiples détails sur la vie d’un enfant au fil des années 1920, je tiens bien sur la copie du texte original à leur disposition. Ils trouveront le nom et l’appel du laitier, les jeux pratiqués dans la rue, les professeurs et les amis, l’achat de la première radio en 1925. Tous ces éléments peuvent être précieux pour une micro-histoire mais ils perdent beaucoup de leur intérêt dans un blog en français.
Je préfère conserver ici la trace des réflexions qui peuvent éclairer la personnalité de mon père et ajouter ainsi à mon livre un court chapitre plus psychologique. Que l’on n’oublie pas, en le lisant que l’auteur n’a que 21 ans quand il écrit cela.
« J’étais assez renfermé et j’avais des difficultés à me confier aux autres. (…) Mon âme n’était jamais tranquille. (…) Je pense souvent à mon enfance, une période douce que je regrette. Je donnerais beaucoup pour être à nouveau un garçon sans soucis qui se promène avec des enfants de son âge dans la nature. (…) J’étais orphelin de guerre et j’ai toujours été à la recherche de quelqu’un de confiance qui aurait pu me guider. (…) J’espère qu’il y aura bientôt une psychologie pour les enfants qui va se rendre compte que toute la vie d’après se forme est formée dans les premières années et que toute la pédagogie de notre époque doit être améliorée. On ne doit choisir que les meilleurs hommes et femmes pour l’éducation, on arrivera ainsi à n’avoir que des petits génies. Je pense à mon enfance un peu grise et je me souviens d’un évènement arrivé au 7 Parkstrasse. Je me vois dans mon lit installé là où sera plus tard la chambre de ma grand-mère et je mange de la bouillie. Il y a un orage avec de la foudre et ma nounou m’emporte dans ses bras au salon. J’ai alors quatre ou cinq ans. (…) »
Très vite, il apparaît que mon père mène l’enfance d’un futur commerçant bien typique de sa ville : en 1924 – il a onze ans – son intérêt pour l’argent est important. Il a collectionné des quantités prodigieuses de timbres et de pièces de collection. Il se souvient encore de la petite boite où il gardait précieusement un Thaler daté de 1750. Il achetait, vendait et échangeait, y compris des tableaux et des livres. On ne peut être qu’étonné d’ailleurs de voir qu’un gamin de 12 ou 14 ans peut «aller « de banque en banque » acheter des pièces d’or, proposer des timbres dans des boutiques. Il avoue d’ailleurs avoir perdu près de 300 Marks vers 1930 avec un bijoutier peu scrupuleux. « J’étais un vrai commerçant et j’avais projeté de faire cela en grand avec des timbres et des catalogues, mais bizarrement cela s’est arrêté brutalement pour les timbres car les pièces ont pris le dessus. Je me souviens combien j’étais excité quand je sortais une vieille pièce de son emballage ». Mais en 1934, il a bien changé puisqu’il ajoute : « aujourd’hui, je n’ai plus aucun intérêt pour cela et que je ne m’intéresse plus qu’à la religion, la nature et la philosophie. » Il n’en resta pas moins toujours tenté par les vieux objets, les belles pièces, les tableaux et les collections. N’a-t-il pas vendu ses collections de Bibles, de livres sur les lignes de la main, des tableaux, des meubles et toujours acheté ce qui lui semblait « une bonne occasion » ?
En fait, on s’aperçoit que dès lors qu’il devient apprenti chez Melchers, il connaît une forme d’émancipation qui l’amène à la pratique du scoutisme et à participer à des conférences sur la spiritualité, la culture et la philosophie. Sa mère n’a jamais, semble-t-il, cherché à lui imposer quoi que ce soit et il regrette justement de ne pas avoir été suffisamment conseillé et aidé. Comme beaucoup d’orphelins de guerre, il cherche un guide, un père de substitution. Pour beaucoup ce sera Hitler. Pour lui, sans doute parce qu’il a hérité d’un certain idéalisme maternel, ce sera Dietrich Bonhoeffer, le pasteur dont les prêches antinazis feront naître sa vocation.
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