C’est un petit classeur orangé à l’intérieur duquel sont soigneusement rangées plus de quatre-vingt-dix lettres expédiées entre le 7 novembre 1940 et le 26 décembre 1944. Soigneusement collée à l’intérieur, une petite annonce passée par un jeune étudiant en théologie qui recherche des correspondantes souhaitant échanger sur des questions sociales et religieuses. Quatre jeunes filles répondirent. Soixante ans plus tard, elles continuaient à échanger des lettres avec mon père, l’auteur de la petite annonce. Il y avait Ruth Specht-Manweiler, Eva John, Gerda Haslinger et Käte Raviel.
Käte Raviel avait 25 ans et elle a donc conservé l’ensemble des courriers reçus de mon père pendant la guerre. De toute évidence, elle l’a aimé mais il ressort des lettres que mon père n’a laissé planer aucune ambigüité sur la simple amitié qu’il lui portait. Elle n’en a pas moins été bien plus qu’une marraine de guerre car, outre les livres, les gâteaux, le chocolat et les enveloppes dont mon père la remercie presque dans chaque lettre (toutes choses qu’il me demanda toujours de lui apporter lorsqu’il fut en retraite), elle a remué ciel et terre pour aider ma grand-mère à trouver un avocat pour défendre son fils devant le tribunal de la Wehrmacht en avril 1943. Son métier d’assistante sociale n’était sans doute pas sans rapport avec sa grande générosité. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, Käte Raviel est décédée en 1999 ( ?) non sans léguer une somme importante à mon père et quelques milliers d’Euros à mon frère et à moi qui ne l’avions jamais vue et ne disposons même pas d’une photographie !
Dans sa première lettre, mon père écrit que c’est en lisant les poésies de Morgenstern qu’il a eu envie de mettre sa petite annonce. Il raconte brièvement sa vie et son choix fait à Paris d’entreprendre des études de théologie. Il aime lire Hesse, Rilke, Küber, Löscher et il ajoute « je suis quelqu’un qui cherche. »
Á la lecture de l’intégralité des lettres, on découvre que ce qui marque sa vie de soldat c’est une permanente surcharge de travail qui ne lui laisse même pas le temps de lire. Il veut changer de vie avec sa correspondante pour au moins avoir le dimanche libre.
Beaucoup de lettre laissent une place au rêve : quand la guerre sera finie, il fera une grande randonnée de quatre semaines… Au fil du temps, les liens se resserrent : « 14/3/41. Chère Käte, Tu m’as envoyé tant de lettres ! Cela me fait autant de plaisir que si c’était ma sœur ou ma mère et je te tutoierai donc aujourd’hui. Si tu avais le sens du romantisme et si tu aimais Karl May, nous serions frères de sang. Si un jour tu as des enfants, tu pourras les envoyer dans ma paroisse »
Si aucune lettre ne donne un nom de lieu, il n’en écrit pas moins le 26 juin 1942 qu’il est allé à Riga où la place centrale était détruite et où beaucoup de juifs allaient travailler en camions ou en colonnes. Le 2 août, il lui raconte qu’il est en Ukraine et que la maison que sa mère avait fait construire en 1928 et qu’elle louait a brûlé dans les bombardements ainsi que celle qu’elle possédait avec son frère. Il évoque les séjours de sa mère à Berlin où elle demeure chez sa fille car les bombardements mettent ses nerfs à rude épreuve.
Il veut aller à Brême pour « tout ramasser avant la destruction qui vient ». Il faut d’abord faire un tri mais il y a « tant de choses dont on ne peut pas se séparer. » Il lui envoie un rouble pour qu’elle s’achète « un gâteau de rêve ».
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