On pouvait lire dans le journal Ouest-France du 5 juin 2011 : « Ce samedi matin environ 1 000 personnes se sont réunies à Orglandes (Manche) pour célébrer le 50e anniversaire des cimetières allemands. À l’endroit même où 10 152 soldats allemands sont enterrés et dont plus de la moitié est morte avant d’avoir 20 ans. » Fort heureusement, le site de FR3 Basse-Normandie donnait une utile précision : « Inauguré en septembre 1961, le cimetière d'Orglandes, comme tous les autres cimetières militaires allemands est géré par une organisation humanitaire allemande, le Volksbund Deutsche Kreigsgräberfürsorge. L'association prend actuellement en charge 824 cimetières militaires répartis dans 45 pays et comptant près de 2,4 millions de victimes de guerre. » Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter un peu plus loin : « Les cimetières militaires allemands sur le sol français ont été, voici 50 ans, le premier signe de réconciliation et de rapprochement entre les deux peuples ennemis, un an avant la rencontre entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, en 1962. »
Bien que le Préfet ait déclaré qu'il "ne fallait pas oubllier", il me semble qu’on a ici confondu l’anniversaire d’un cimetière avec celui d’une organisation créée en Allemagne en 1919 et oublié qu'elle s’est préoccupée des soldats enterrés en France entre 1939 et 1945 dès la fin des années 1940. Puis-je rappeler que mon père a travaillé pour le Volksbund Deutsche Kreigsgräberfürsorge dès 1949 et qu’il a été son représentant pour la France de 1951 à 1955 ?
Installé d’abord 28 rue Marcel Royer à Gennevilliers, puis au 5 bis rue du Louvre dans le centre de Paris, et même doté de deux secrétaires au plus fort de la période, mon père a recherché regroupé, identifié, alerté, interrogé. Trente ans plus tard, j’ai retrouvé derrière des cartons quelques plaques d’identification en métal (car les noms s’effacent sur les croix) et des représentations de squelette permettant de caractériser le contenu des tombes découvertes et les particularités des cadavres. Dans la majorité des cas, les soldats tués au cours des combats de la Libération avaient été enterrés à la hâte et, quand il s’agissait des cibles des résistants, c’est parfois dans des lieux aussi peu adéquats que des poulaillers qu’il fallait aller chercher les corps prudemment cachés. Il lui a fallu accompagner des cars entiers de veuves et de mères voulant se recueillir sur une tombe. Au début, quand les regroupements n’avaient pas encore été réalisés, il effectuait un circuit permettant de déposer le matin chaque mère ou chaque veuve dans un cimetière avec son repas et de repasser l’après-midi. Parfois, il retrouvait la malheureuse femme entourée de villageois la consolant en évoquant le souvenir du sympathique soldat qu’ils avaient si bien connu ! Il est aussi arrivé à mon père de se faire remettre les cartons ou l’on avait entassé tout ce que des soldats portaient sur eux avant d’être mis dans une fosse commune. Il fallait alors, avec l’aide de bénévoles, examiner attentivement tout le contenu, ne serait-ce que pour éviter d’adresser à la famille les lettres de maîtresses françaises qui s’y trouvaient.
Au total, mon père a été attentif au sort de près de 200 000 soldats allemands morts en France (il y en a en tout 1 024 027 laissés par trois guerres dans une quarantaine de cimetières dédiés et une cinquantaine de carrés communaux). Étrange destin pour ce fils de soldat allemand mort en France. Étrange destin pour ce jeune pasteur chargé d’enterrer, d’une manière ou d’une autre, plus d’hommes, croyants ou pas, que tout autre religieux dans une carrière. Étrange destin pour ce pacifiste qui va faire la paix en épousant une française dont l’oncle est mort à Verdun. Étrange destin pour le vieil homme qu’il est devenu et qui a pu observer les efforts faits par les Allemands pour retrouver leurs morts dans l’ex-Union soviétique et les polémiques suscitées en Espagne par les fouilles archéologiques dans les charniers secrets de la guerre civile.
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