J'ai déjà parlé de l'échange étonnant qu'à eu mon père en 1961 avec le juge de la cour martiale (Kriegsgericht) qui l'avait condamné en 1943. De nombreux germanophones visitant ce site, je ne voudrais pas les priver de l'roiginal intégral de la lettre d'Elmar Brandstetter qui se justifie par la mansuétude de la condamnation. C'est l'exemple typique d'un de ces juristes qui a commencé sa carrière en plein nazisme l'a achevée sans problème ni remords apparent en République fédérale.
Elmar Brandstetter est né en 1908 et a fait une brillante carrière après 1945 malgré son engagement pour une militarisation totale de la Volksgemeinschaft(la communauté du peuple) voulue par Hitler (il affirmera « la communauté militaire est aujourd’hui la constitution du peuple »). Il restera juge de la cour de discipline militaire et remettra régulièrement à jour son Manuel de droit militaire publié pour la première fois en 1939. Il n'est pas habituel qu'un juge, qui plus est, un juge militaire ayant fait allégeance à la justice nazie, écrive à celui qu'il a contribué à envoyer à une mort quasi certaine. Sa lettre montre que son activité pendant la guerre ne lui a jamais posé de problème de conscience. Avoir été plus "clément" que le Tribunal du peuple semble l'exempter de toute culpabilité pour d'avoir accepté d'importantes responsabilités au sein de la machine répressive nazie.
Voici une traduction partielle du fac-similé qui suit.
"Monsieur le Pasteur
Après vos courrriers, je me rappelle encore très bien de votre procédure. Une réponse aurait toutefois été facilitée si vous m’aviez transmis une copie des jugements de l’époque.
Il serait sans doute plus facile, dans une conversation personnelle, d’éclairer la situation d’antan et de discuter de la réalité de ce temps malheureux. Mais comme il n'est pas possible d'en parler, je vais essayer de mettre mes pensées sur papier, et trouver, j’espère, votre compréhension.
D’abord il me semble important de démontrer que de tous temps les instances judiciaires étaient liées aux lois respectives de leur époque. Le tribunal fédéral a ainsi déclaré (p.ex. tome 2, page 174) :
Il est dans la tradition et l'expérience de tous les peuples civilisés que, dans une époque de menace de guerre ou de danger politique, un état laisse les tribunaux exercer avec la plus grande fermeté et bénéficier d’une large liberté de procédure.
Prenez aussi en considération l’injustice qui caractérisait la pratique habituelle des instances qui avaient la charge, en dehors de la WEHRMACHT, de poursuivre les soi-disants phénomènes de résistance à l'autorité publique (Zersetzungserscheinungen).
Votre procédure est à mettre dans ce contexte. C'est ce qui permet de comprendre que des membres compréhensifs de la WEHRMACHT et les avocats de la défense mettaient tout en œuvre pour empêcher la remise des procédures soumises à la loi de guerre à la justice générale, car ils voyaient dans un jugement par un tribunal de guerre la seule possibilité de sauver le prévenu.
Nombre de cas tragiques prouvent qu'ils avaient raison car ceux-ci, retirés des tribunaux de guerre sous la pression de la GESTAPO, ont été transférés au Tribunal du peuple et et ont été condamnés à la peine capitale.
C'est la position des tribunaux de guerre qui explique la haine d’Hitler vis-à-vis des tribunaux de la WEHRMACHT (voir aussi Deutsche Richterzeitung S.440/43 [document joint]).
Je suis déçu et surpris que vous, M. le Pasteur, ne reconnaissiez pas que, dans la situation de l’époque, la simple remise de la procédure à un tribunal du peuple ou un tribunal spécial aurait scellé votre destin de façon définitive.
Apparemment vous sous-estimiez et vous sous-estimez toujours le danger dans lequel vous vous trouviez. Le temps qui a passé depuis vous fait oublier facilement la dureté de la législation et la cruauté avec laquelle elle a été interprétée et pratiquée.
Votre avocat, un avocat berlinois expérimenté, avait bien compris la volonté du représentant de l'accusation et du tribunal et il a rendu hommage à ce choix. Pendant la pause de l'audience, il m’avait dit spontanément, à quel point le ton du procès était bon et qu’il se distinguait en cela du ton des tribunaux spéciaux. Il m’a aussi fait part de sa joie que le cas ne soit pas passé en jugement devant un tribunal spécial, mais devant le tribunal de guerre. Il m’a exprimé sa reconnaissance par rapport à la clémence de ma demande. Je suis certain que votre avocat s’est aussi manifesté dans ce sens envers vous. Elmar Brandstetter"