Beaucoup de gens me demandent l'article sur Normandie Magazine qui a été consacré à Paul dans les pas du père, lors de la sortie du livre, Paul et moi avons été très touchés par la gentillesse de l'accueil que nous a été fait par l'équipe de ce journal, et je tiens encore à remercier Catherine Forestier et son équipe. Je suis certaine que leurs encouragements a contribué au succès du livre.
NORMANDIE MAGAZINE - N° 217
Le livre de Paul
Évoquant Paul dans sa vie, Paul dit parfois : « Ce film, c’est comme un livre ». Il y a aussi, désormais, un livre qui lui est consacré. Paul dans les pas du père, écrit par Catherine École-Boivin, née dans la Hague elle aussi. L’ouvrage est préfacé par Didier Decoin qui habite Auderville, tout comme Paul.
P
aul est un ami du père de Catherine École-Boivin dont la famille habitait Jobourg. Catherine a vraiment fait la connaissance de Paul après le
tournage du film de Rémi Mauger. La jeune romancière était très désireuse d’écrire le livre de la vie de Paul.
Entre Catherine et lui, le courant est passé tout de suite. « Paul avait beaucoup aimé l’un de mes premiers romans, Jeanne de Jobourg, qui parle de la vie d’une paysanne du Cotentin. Je n’ai pas voulu marcher sur les pas du film mais répondre à toutes les questions que les gens se posentsur Paul. Paul et moi avons parlé très longtemps. C’est un livre que nous avons écrit à deux voix. Cela se lit comme un roman. »
Le livre apporte des réponses aux interrogations de ceux qui ont vu Paul dans sa vie. Ainsi les raisons du célibat de Paul. Tout tient au respect des enfants envers les parents. Paul a failli se fiancer deux fois et deux fois il ne l’a pas fait, car il pensait que ce n’était pas le souhait de son père. Après le décès de celui-ci, Paul est resté à la ferme pour aider la mère, aidé de ses deux soeurs. Il reconnaît que Françoise et Marie-Jeanne auraient peut-être fondé une famille s’il avait fait un autre choix mais il ne le regrette pas. L’image paternelle est très forte, pour Paul comme pour ses soeurs.
« Je lui ai posé des questions très intimes : pourquoi il ne s’est pas marié… Ce sont des choses dont il n’avait parlé à personne auparavant, et il était très ému. On a l’impression, en voyant le film, qu’il aurait pu devenir prêtre ; mais dans le livre on apprend qu’il y a renoncé, après des années de doute et de questionnements, parce qu’il a refusé la hiérarchie ecclésiastique dont il a senti le poids quand il était enfant de choeur.
Ce qui m’a frappée, c’est son intelligence, son esprit, sa liberté. Il est futé. Il est drôle et profond en même temps. C’est un homme qu’il est très facile d’aimer.
Dans les premières scènes du film, on le voit devant l’usine de la Hague. Il ne l’aime pas, mais ses propos sont très mesurés. Il dit que sans elle, le paysserait mort…
- Oui, et je pense comme lui, parce que moi, sans l’usine, je n’aurais pas fait d’études. On sait bien que sans cette usine, on n’aurait pas évolué du tout.
Mais qu’est-ce que l’argent du nucléaire a changé à la vie de Paul, qui a vécu pauvrement toute sa vie ?
- C’est un homme qui ne pense pas qu’à lui. Il pense aux autres. Il constate que les jeunes sont restés. S’ils ne travaillent pas la terre, ils vivent ici, et nos villages ne sont pas morts. C’est un homme qui est tout sauf égocentrique.
Même quand il était jeune, Paul n’ajamais été un agriculteur dans le vent, endetté jusqu’au cou, qui n’a de cesse d’avoir un tracteur plus gros… C’est une évolution qu’il a refusée ou qu’il n’a pas pu s’offrir ?
- Je pense que c’est une question de bon sens. Son père lui a légué un héritage et lui, parce qu’il est intelligent et qu’il n’est pas resté à l’âge de pierre, il s’interroge pour savoir s’il veut entrer dans ce modèle. Dans le livre, il y a une scène où le voisin vient chercher de l’aide auprès de Paul et de son père parce que le vent vient d’emporter sa machine à traire. Et le père Bedel lui répond : “Moi, je n’ai pas ce problème : ma femme ne s’est jamais envolée !” Les Bedel ne sont pas contre le progrès, mais ils disent qu’il y a des limites. C’est comme pour les engrais : une année, Paul a acheté des engrais. Il a essayé. Le Crédit agricole lui fait un prêt pour acheter des engrais c’est à dire chimiques, des engrais “propres”, à la différence des engrais produits à la ferme ! Paul devait donc rembourser ce prêt et s’efforcer de dégager un bénéfice. Il y a bien eu un petit bénéfice mais comme, d’ordinaire, il n’avait pas d’emprunt à rembourser et que ses engrais, fumier et varech, ne lui coûtaient rien, l’opération n’avait rien de mirobolant et l’année suivante, quand le gars est revenu pour lui proposer à nouveau un prêt, Paul a refusé. C’est un homme ouvert, qui essaie, et qui réfléchit. Il n’a pas mis le doigt dans l’engrenage de la consommation. Mais il est considéré parfois comme un original. Certains prétendent qu’il donne une mauvaise image de la Hague. Par contre il est admiré par une foule de gens qui sont fascinés par cette vie presque en autarcie, à l’heure où l’alimentation de qualité coûte de plus en plus cher. Les Bedel achètent très peu de denrées. Ils font eux-mêmes leur riz au lait et cueillent le matin les légumes pour la soupe du soir.
« Paul est un homme qu’il est très facile d’aimer »
Grand témoin
Quel regard jette-t-il sur le fait qu’il n’a pas de descendance ?
- Ah, ça, c’est très beau. Son héritage, c’est le film, et le livre. Il m’a dit : “Je sais que je ne suis pas immortel, cela ne me dérange pas, mais je veux au moins que les générations futures sachent comment Paul a fait”. Et il sait bien que transmettre, c’est communiquer. Le livre, c’est son bébé. Son “héritage”, il le dit lui-même.
Est-ce que vous pensez que les gens comme Paul se font trop rares ?
- Non. Il y a des originaux, mais Paul n’en est pas un. Paul a une grande intelligence et il a vraiment le sentiment de Dieu. S’il y avait beaucoup de gens comme ça, on y ferait moins attention. C’est un homme profond, c’est un homme rare, et c’est très bien comme ça. Quand il vous rencontre, il vous scrute, c’est comme s’il avait lu quelque chose en vous, et il vous dit quelque chose que vous aviez besoin d’entendre. Et quand on sort de chez lui, on a vraiment l’impression d’être quelqu’un d’autre. D’être meilleur. Il transmet sans le vouloir, on prend ou on ne prend pas. Il est dans sa vie, en symbiose avec les éléments, donc en symbiose avec Dieu. Je l’appelle “le sacristain dans sa cathédrale de verdure”. On est vraiment dans Spinoza. Il ne sait pas qu’il est philosophe, c’est ce qui fait sa grandeur.
D’abord, et ce d’abord a duré des années, on allait chez Paul pour son beurre.
Chez Paul, c’est une petite maison fermière d’Auderville, dernier village du cap de la Hague, de la pointe comme on dit par ici. Une maison grise qui fait le gros dos au suroît, bien enracinée dans son granit. Et le beurre, son beurre, c’était du moulé à la main, un beurre de haute saveur, riche, odorant, doré comme miel et pain frais, ce genre de beurre propre à déchaîner l’hypocondrie des commissaires européens - pensez donc ! du vrai beurre né d’une vraie crème fouettée dans une vraie baratte au fond d’une vraie laiterie dans un village d’un vrai bout du monde…
Paul, quand on ne le trouvait pas chez lui, c’est qu’il était à ses champs, à ses bêtes, ou simplement à l’église dont il est le sacristain. Il n’y a jamais eu à le chercher bien loin : son territoire, son fief, son royaume, n’avait que quelques arpents d’horizon.
Aujourd’hui, Paul Bedel ne baratte plus, il a vendu ses vaches, ses clos.
Et alors, stupéfaction : dans le même temps qu’il prenait, à soixante-quinze ans et des poussières d’éternité, sa retraite de cultivateur, le voilà tout soudain répertorié, comme une star ou presque, sur les plus prestigieux sites du Web consacrés aux célébrités du cinéma ; il figure même sur une page dédiée aux écologistes ayant bien mérité de la planète Terre, à côté d’Al Gore, l’ex-quarante-cinquième vice-président des États-Unis et l’imprécateur de service du film de David Guggenheim Une Vérité qui dérange.
Ce n’est évidemment pas Paul qui a changé. Mais n’importe : propulsé au rang de dernier vivant (ou peu s’en faut) d’une certaine paysannerie française en voie de disparition, il doit à présent se prêter aux rituels de la célébrité.
Entre le Paul Bedel du beurre d’or et des dahlias et le Paul Bedel des sites cinéphiliques, il y a désormais la différence d’un regard - celui qu’a porté sur lui Rémi Mauger dont le film documentaire Paul dans sa vie, tourné au fil de toute une année sur des images (admirables) de Guy Milledrogues, s’est payé le luxe inouï, à Cherbourg en tout cas, de faire plus d’entrées que Tom Cruise dans Mission impossible…
Ce dont, bien sûr, Paul ne s’offusque ni ne se glorifie : il en rit - de bon coeur comme tout ce qu’il fait.
Mais que ce beau film (Paul dans sa vie, pas Mission impossible…) ne vous fasse pas prendre des vessies pour des lanternes : Paul Bedel n’est pas un « cas », il ne sort pas d’un tableau de Millet (le Millet de L’Angélus, un Haguais lui aussi), et moins encore d’une image d’Épinal.
Paul Bedel est un homme, un homme pur et tendre comme son beurre, mais un homme vrai - je sais, j’ai déjà employé ce terme, mais vous allez constater au fil des pages qu’il est incontournable, que le mot vrai et ses synonymes : franc, loyal, sincère, sont décidément et absolument le leitmotiv de ce livre.
Et c’est tout aussi décidément cette humanité-là que Catherine École-Boivin, avec sa propre délicatesse, est allée quêter, glaner, effruiter, moissonner, pour nous la partager.
(…) Paul est intelligent et digne. Il croit à la grandeur, à la valeur éminente des choses de la terre. Des choses des bêtes. Des choses de l’homme. Et des choses de Dieu.
Ce livre est son miroir.
EXTRAIT DE LA PRÉFACE DE DIDIER DECOIN, DE L’ACADÉMIE GONCOURT
NORMANDIE MAGAZINE - N° 217
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