J’ai évoqué au début du livre Reinhardt Hardegen, un ami d’enfance de mon père, né en 1913 comme lui, devenu commandant de sous-marin pendant la seconde guerre mondiale, puis, pendant trente-deux ans, député au parlement de Brême. Il est aujourd’hui le doyen des commandants de sous-marins du IIIe Reich (peut-être même de la planète…) et fier de son passé. Il a d’ailleurs été accueilli un peu partout dans le monde par ses collègues sous-mariniers. J’avais précisé que Reinhardt Hardegen « s’est fâché définitivement avec mon père quand il a appris que ce dernier l’avait traité de « prolongateur de guerre » parce qu’il avait coulé vingt-deux navires alliés. » Je m’étais réjoui de cette rupture justifiée, n’ignorant pas à quel point les « héros » de la guerre sous-marine et Reinhardt Hardegen en particulier, avaient servi autant la stratégie militaire que la propagande du IIIe Reich.
Mais je dois à la vérité de dire que j’ai trouvé un courrier de R. Hardegen daté du 13 septembre 1990 et adressé à son « cher Franz-Adolf ». Il y raconte ses croisières et voyages, en particulier de son circuit aux États-Unis destiné à assurer la promotion d’un livre écrit sur lui (ici). Il évoque aussi leur vieille école, désormais fermée, et les rares camarades de classe encore en vie. Il ajoute ensuite les noms des 42 adolescents présents sur la photo de classe qu’il lui adresse.
Ainsi donc, la nostalgie de l’enfance aura été plus forte pour mon père que ses convictions pacifistes et il avait fini par renouer des liens avec Reinhardt Hardegen. De la même manière, le vieux capitaine de corvette est visiblement passé sur les propos du caporal dégradé pour atteinte au moral de l’armée… Étrange force des sentiments proprement humains qui l’emportent sur les idées. Je ne saurais les condamner. Mais comme ce ne sont pas les miens, je ne saurais les partager. Cela ne m’empêche pas de les comprendre et ce, d’autant mieux que je n’ignore pas qu’ils ont grandi comme des cousins (ils étaient des parents éloignés et sa mère, veuve aussi, était la meilleure amie de ma grand-mère).
Je n’ai pas oublié que le locataire de Madame Hardegen était le capitaine Koenig, un commandant de sous-marin qui, après avoir réalisé une étonnante traversée commerciale vers les États-Unis, avec remonté la Weser en héros, salué par tous les Brêmois. Reinhardt (comme mon père) avait sa photo dédicacée dans sa chambre et il a suivi son exemple au point d’aller regarder New-York dans son périscope en février 1942 et de couler au passage un pétrolier. Au même moment, mon père était arrêté à Berlin par la police militaire. Il ne transportait pas de torpilles, lui, mais de la propagande anti-nazie.
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