Je reprends ici et je développe le fragment de note consacré à Pierre de Barbeyrac, un de ces originaux que l'Île aux Moines aimantait. Il aurait eu cent ans ce mois d'octobre 2008. Il est décédé le 28 novembre 1988 à Plérin près de Saint-Brieuc. Il a mené une vie de dilettante en vendant, au rythme de ses besoins, les terrains et les maisons acquis par sa mère avant la guerre. Il abandonnait la maison qu’il avait occupé dès lors que ce qu’il y avait entassé l’en expulsait littéralement. Je lui dois d’avoir lu un des livres fondateurs de la lutte écologique, « Printemps silencieux » (voir ici), de Rachel Carlson, dès 1964. Il peut, en bien des aspects de sa vie, être considéré comme un précurseur des néo-ruraux des années 1970, lecteurs de Thoreau et adeptes d'une agriculture sans poulluants et, si possible, sans efforts...
J'ai retrouvé une grosse enveloppe de correspondance entre mon père et Pierre de Barbeyrac, soit plus de cinquante lettres en trois ans. Mon père avait même rédigé une notice biographique d'où il ressort que P. de Barbeyrac était le fils du général de Barbeyrac de Saint-Maurice et de Madame van Oldenbarnefeldt, non mariée.
Dans ses lettres, mon père racontait la vie à l'Île aux Moines, de livres, de l'actualité et de l'état de la dernière propriété de P. de B., la maison "Beausoleil". Mais il ne faisait sans doute pas que plaisanter quand il lui écrivait "Ce sera la grande surprise de ma vie quand le notaire va me prévenir que mon cher ami Pierre de Barbeyrac a légué sa maison Beausoleil à son vieil ami Beaulieu en reconnaissance de ses longues lettres."
De son côté, il arrivait à Pierre de Barbeyrac d’évoquer sa jeunesse à l'île : "Je crois que cette grande vitalité dont font preuve les îlois tient aux privations et à la dureté de vie qui fut le partage d'eux tous. Pensez que maintenant il suffit de tourner le robinet pour avoir un flot d'eau fraîche, autrefois il fallait aller à 300 ou 400 mètres tremper deux seaux dans la fontaine et les ramener à petit pas avec une feuille de fougère flottant à la surface pour éviter les vibrations à chaque pas » Mais, faut-il le suivre quand il affirme que « Les classes sociales étaient autrefois très marquées à l’île. Un capitaine au long-cours n’aurait pas remis dans la main une lettre à un de ses matelots. Il déposait la lettre sur le cabestan où le matelot allait la chercher. Par contre les classes étaient très ouvertes et un matelot travailleur et économe pouvait aller à l’école d’hydrographie et en deux ou trois ans devenir capitaine ». Avait-il entendu cela de la bouche du vieux capitaine Jules Le Franc qui, comme il l’écrit par ailleurs, lui avait appris à barrer et à fabriquer des casiers à congre ?
Mais les lettres de Pierre de Barbeyrac restent fidèles au souvenir que j’ai gardé de ce personnage : elles regorgent de conseils puisés dans des livres et des revues et délivrés à on père pour l’aider dans l’entretien de ses arbres fruitiers et de ses terrains mais aucun de ces conseils n’a été mis en pratique par le conseilleur. Par le conseillé non plus. Les deux hommes avaient bien tout pour s’entendre puisque mon père n’était pas plus disposé à tester par lui-même les conseils sur la préparation à la mort qu’il donnait à qui voulait bien l’écouter.
Sur un cheval, P. de Barbeyrac lors de la venue de l'évêque de Vannes pour la confirmation à l'île vers 1930.
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