Dans un dossier qui reste à localiser quelque part au grenier, doit traîner une petite carte qui m’a été adressée par Julien Gracq en 1982. J’avais eu l’inconscience de lui adresser le petit roman que j’avais publié alors sous le titre Le Collier d’os. C’était un temps déraisonnable où l’onde de choc de 1968 donnait encore une intensité particulière à chaque instant de la vie et nous bousculait au point d’accorder plus d’importance à la fièvre qu’aux moyens de l’enregistrer. Bref, le livre, mal corrigé, mal imprimé, en était à peine un. On mesurera donc l’étonnante indulgence du vieil écrivain qui n’en avait pas moins pris sa plume pour, tout en regrettant les défauts, manifester son intérêt et trouver des accents nervaliens au texte.
Ce sont les pages du blog de Daniel Morvan concernant la vente aux enchères de l’héritage de Julien Gracq qui m’ont remis en mémoire cet épisode. Ce que Daniel Morvan dit du destin des objets livrés au plus offrant le 12 novembre 2008, de la « tristesse totale » que l’on a pu alors éprouver me semble parfaitement refléter et compléter mes interrogations sur ce qui peut se transmettre par les objets – montres, étui à cigarettes, photographies, lettres… Je me souviens d’un texte de Sacha Guitry qui louait la nouvelle vie que les objets pouvaient trouver dans les salles des ventes. Il faudrait pour cela que leur première vie ne jette pas encore une ombre trop forte sur eux (c’est le cas de la vente Gracq à Nantes) ou que notre tristesse ne soit pas trop grande de voir tant de portraits ou d’objets personnels devenus muets faute d’avoir été transmis avec leur histoire aux héritiers qu'on a pu prendre le temps de choisir.
PS : Dans Le Collier d'os, je faisais le portrait d'un homme nommé Buchman, "le plus solitaire et le plus sociable que je connaisse", vivant dans une île au milieu de milliers de livres. C'était bien un portrait romancé de mon père ; à le relire aujourd'hui, je m'aperçois qu'il était l'ébauche d'un livre à venir... Les curieux pourront en lire l'essentiel en cliquant sur l'image ci-dessous. Les lignes qui précèdent sont "Chez lui, rien de terre à terre, mais une originalité native exaltée par cette vie terre à mer, qui lui avait permis de rompre les amarres (...)".
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