Il a fallu la sortie du « Livre de l’île », ouvrage collectif (en deux volumes) rassemblant de multiples textes, dont un grand nombre est extrait de la défunte « Gazette de l’Île aux Moines » pour que je me souvienne avoir publié un article sur le cimetière de l’île en 1982.
C’est là que mon père est enterré, dans une tombe dont il a choisi le marbre et où il a fait fixer la statue d’une pleureuse achetée dans un marché aux puces. Á l’époque, il aurait même voulu faire graver son nom et sa date de naissance, mais le marbrier lui a dit que cela ne se faisait pas. Mais la pleureuse témoigne bien de ce qu’il fut : amateur inguérissable des brocantes et marchés aux puces (je ne crois pas qu’il ait acheté un meuble neuf de sa vie), il pouvait, quel que soit leur poids, porter sur des kilomètres les objets qu’il achetait. Quant à la pleureuse, elle exprime autant la compassion qu’il savait si bien montrer que son intérêt pour les cimetières et leur décoration. Non seulement il s’est occupé de l’organisation des cimetières militaires allemands en France mais il a collectionné en permanence les livres et les cartes postales sur le sujet.
On l’aura compris, je partage, à ma manière, son goût pour les occasions et les cimetières, tout particulièrement pour celui de l’Île aux Moines.
Avec la petite statue, originale et discrète, la tombe de mon père est bien à sa place dans le cimetière de l’île. Depuis plus de 150 ans qu’il a été transféré là (il ceignait l’église avant), chaque famille semble s’être ingéniée à personnaliser sa petite concession avec vue sur mer.
Je ne peux donc que me réjouir de voir que la majorité des tombes récentes ne cède pas à la triste mode qui s’empare de nombreux cimetières aujourd’hui et les fait ressembler à de véritables cimetières militaires tant les familles ont recours à un modèle unique de tombe.
Mais le temps passe, les familles disparaissent, les tombes se dégradent et les concessions prennent fin. Ce fut le cas il y a quelques années pour celle de Suzanne Foccart, décédée en 1925. Bien qu’auteur d’un ouvrage publié en 1910 sur « Marie enfant, la santissima bambina », la religieuse qui appartenait à la communauté implantée à San-Francisco (le restaurant actuel) avait donné le jour le 31 août 1913, en Mayenne, à un petit Jacques, le père étant, selon la tradition orale insulaire, un évêque. Courageux résistant pendant la guerre, il devint le grand ordonnateur de la politique africaine de la France gaulliste. Selon sa biographie officielle (reprise ici ) Jacques Foccart était le fils d'Elmire de Courtemanche, une créole de Gourbeyre (Guadeloupe), et de Guillaume Foccart, qui devint maire de cette dernière commune. Le journaliste Pierre Péan a révélé (non sans commettre des erreurs) la véritable origine de Jacques Foccart (L’homme de l’ombre, Fayard, 1990), ce qui était un secret de polichinelle à l’île. Quand la mairie afficha que la concession de Suzanne Foccart allait être considérée comme caduque car la tombe n’était pas entretenue, mon père commença le nettoyage (avec un acide qui fit plus d’effet sur son pantalon que sur la pierre) et s’empressa d’écrire à Jacques Foccart, lequel lui téléphona et pris contact avec la Mairie pour qu’on préserve la tombe de sa « tante »..
Où je veux en venir avec mes petites histoires ? Á ceci : Il y a aujourd’hui bien plus de propriétaires de résidences secondaires que de familles entretenant une tombe au cimetière et certaines sont dans un triste état. Presque chaque tombe est en soi un monument historique, un élément du patrimoine insulaire, la prolongation naturelle des terrains et des maisons occupés désormais par des gens venus d’ailleurs, comme nombre de ceux qui, comme mon père, sont désormais au cimetière. Á chacun de prendre en charge telle ou telle tombe. Sans abuser du détergent : les lichens font aussi partie de son histoire ! Sans abuser du désherbant : le muguet disparaîtrait !
Chaque tombe a une histoire et il faut la recueillir auprès de ceux qui la connaissent. Si on veut bien me la transmettre, elle contribuera au livre que je compte bien écrire un jour sur ce thème.
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