Le premier grand amour de mon père s’appelait Eva John et je compte bien reparler de cette femme exceptionnelle. Elle a publié des mémoires dans la revue We shall forget : memories of the holocaust sopus le titre « Mischling first degree ». Elle raconte page 62 qu’elle est tombée amoureuse d’Herbert, un jeune théologien qui fréquentait son groupe Quaker. Intégré au Quartier général de l’armée, Herbert y copie des documents qu’il reçoit par ailleurs ou qu’il récupère sur place. Parmi ceux-ci le courrier d’un peintre qui est sur le front et qui donne des détails horribles sur l’exécution d’un groupe important de Juifs par un Sonderkommando. Plus loin, Eva John précise que l’auteur des lettres est mort au front. Mon père, c’est bien sûr de lui qu’il s’agit, a écrit dans la marge : « von Volkhammer »(1). Or, jamais mon père n’a évoqué cet homme et cette lettre. Sans aucun doute, cela fait partie, non des documents saisis sur lui le jour de son arrestation mais d’une lettre qu’il a dû faire circuler en 1941 ou 1942 (rappelons que l’action des Einsatzgruppen sur le front russe ont commencé à partir de l’offensive du 22 juin 1941).
Au dos des photocopies de ses mémoires, Eva John a écrit des courriers à mon père en janvier, septembre et octobre 1995. Elle le remercie du long récit de ce qu’il a vécu et constate que, contrairement à ce qu’elle avait cru, mon père n’a pas été dénoncé mais arrêté. Elle lui demande s’il n’aurait pas un fils écrivain qui pourrait rédiger son histoire ! Elle va même jusqu’à lui faire remarquer qu’il n’a sans doute pas raison de se plaindre du manque d’intérêt de ses enfants pour son passé et qu’il y est sans doute pour quelque chose. Plus je lis les mémoires et les lettres d’Eva John, plus je suis malheureux de ne pas avoir pu échanger avec elle, tant sa lucidité et son amour de la vie sont extraordinaires. Elle va jusqu’à reprocher à mon père de se lamenter du temps perdu pendant les années de guerre : pour elles, ils ont vécu des évènements exceptionnels, en sont sortis vivants et riches de leur expérience.
J’ai, bien sûr, recherché von Vollckamer sur Internet mais sans résultat. En livrant ce nom aux moteurs de recherches, je lui donne une chance de surgir du passé.
(1) J'ai conservé ici le nom tel qu'écrit par mon père mais une lettre retrouvée (voir ici) donne la bonne orthographe, von Volckamer, que je corrige ailleurs.
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