Pour ceux qui prennent ici le train en marche, il ne serait pas inutile de lire d’abord le premier chapitre ici où je raconte comment mon grand-père Franz Chales de Beaulieu a eu un premier fils, prénommé Franz Bodo avec une jeune fille d’Altenburg, Marie H. et que c’est la famille de la jeune fille qui s’était opposée au mariage. Une nouvelle liasse de courrier apporte l’épilogue de l’histoire.
Si mon père avait découvert toute l’affaire dès 1932, il n’en a parlé à sa sœur Gisèle qu’en 1967. D’habitude plus prolixe, il se contente de huit lignes pour lui résumer l’histoire et lui demander d’envoyer deux colis (qu’il lui remboursera au retour de son tour d’Europe) à « la vieille dame » qui a maintenant 86 ans.
En effet, mon père a repris ses recherches depuis peu et il est parvenu à localiser la mère de son demi-frère. Il a pu échanger des lettres avec elle, mais surtout avec sa voisine et amie qui s’occupe de tout. En fait, Franz Bodo est mort en 1955 à Bamberg, sans enfants ni d’autre famille que sa mère qui vit seule désormais à Altenburg, la ville où elle a rencontré mon grand-père. Mais désormais, Altenburg est en RDA et la vie y est bien difficile. Elle ne dispose que d’un petit loyer pour vivre et accueille avec joie la proposition de mon père de lui envoyer un colis. Les deux listes reproduites dans cette page témoignent d’une époque déjà oubliée où du chocolat, du café, des cigarettes avaient une valeur inestimable.
Marie Hey (c’est ainsi qu’elle s’appelle et nul aujourd’hui ne peut donc souhaiter son anonymat) raconte directement ou fait raconter par son amie qu’il s’est bien agi d’une « vraie et grande histoire d’amour ». Le père de Marie Hey était issu d’une famille de paysans mais il était devenu typographe, un métier très qualifié qui lui avait permis d’acheter des terres et deux maisons. Il avait un garçon (mort à la guerre en 1914) et une fille, très jolie et très demandée mais très sérieuse. Elle aurait pu devenir une grande patineuse sur glace et ne fréquentait que les meilleures écoles et les gens riches. Quand son père a appris qu’elle était enceinte d’un jeune sous-officier, il est devenu fou de rage a interdit tout mariage et a tout fait avec des médecins pour qu’elle n’ait pas cet enfant. Mais elle a résisté et décidé de l’élever seule « comme si son père était mort dans un accident ». Mon grand-père est allé deux fois à Altenburg pour voir l’enfant. Il a dit à Marie Hey que si elle ne pouvait pas rendre possible un mariage avec lui, il serait obligé de penser à une autre union. Il a toujours espéré mais elle n’a jamais répondu. C’est sans doute pourquoi, quand il a vu la possibilité d’épouser ma grand-mère sept ans plus tard, il se résigne à faire un accord notarié et à verser 2000 euros à la famille pour éviter tout risque de révélation. Il est très possible que Marie Hey n’ait pas voulu complètement désobéir à son père, choisissant d’assumer son enfant mais renonçant au mariage. Ce qui est certain, c’est que « malgré des demandes nombreuses », elle n’a jamais souhaité se marier, conservant précieusement les photographies de son amant et élevant son fils de son mieux, allant jusqu’à hypothéquer son héritage pour lui payer des études universitaires. Elle ne lui cacha pas son origine et Franz Bodo disait « Le soir, quand je me couche, je me dis que je peux être fier de moi et je veux que mon père soit fier de moi. »
Ainsi donc, soixante-trois ans après sa rencontre avec mon grand-père, Marie Hey pouvait renouer un lien par-delà les générations. Comment ne pas mettre en parallèle la destinée des deux femmes qui ont aimé mon grand-père et qu’il a aimées : toutes deux ont considéré qu’après lui, il n’y aurait pas d’autre homme dans leur vie.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.