Si, parmi toutes les personnes que mon père a connues je pouvais en faire revenir une sur cette terre, ce serait, sans aucun doute, Eva John Gordon. Pas de femme plus lucide et optimiste à la fois, plus sévère et plus indulgente, plus fidèle à elle-même et aux autres. Elle a publié les souvenirs de sa vie en Allemagne nazie sous le titre « Mischling first degree » dans l’ouvrage collectif We Shall Not Forget: Memories of the Holocaust publié en 1994 à Lexington. La photocopie des pages de son texte se trouve au dos de trois lettres adressées à mon père en janvier, septembre et octobre 1995.
Eva John y raconte comment, née à Berlin le 16 novembre 1922, elle a découvert en 1933, à la suite de questions posées dans son livret scolaire, qu’elle avait des origines juives, par sa mère, Martha Bluth. Celle-ci était une femme très indépendante qui avait été secrétaire multilingue auprès de l’état-major pendant la première guerre mondiale et, à ce titre avait même été l’une des interprètes lors du Traité de Versailles. Elle avait ensuite travaillé pour Erich Pommer , le producteur de l’Ange Bleu. Le père d’Eva qui était dans le commerce international avait eu la chance de demander à être payé en dollars juste avant la crise du Mark et l’inflation des années 1920. Elle avait donc vécu une enfance dans un milieu protégé et cultivé.
Á la suite d’une remarque antisémite d’une élève de sa classe, sa mère l’avait mise dans une école privée de Berlin Ouest nommée Walschule et où réganit un bel esprit antinazi. Après la Nuit de cristal (9 novembre 1938), l’émigration s’imposa dans l’esprit de sa mère. C’est aussi à ce moment là, qu’influencée par sa tante Paula, Eva commença à fréquenter le groupe des Quakers de Berlin. Une trentaine de personnes en constituait le noyau de base mais un groupe destiné à aider les jeunes persécutés fonctionnait aussi en parallèle et un travail important était fait pour préparer un convoi d’enfant vers l’Angleterre. Au cours de l’été 1939, Eva apprit qu’elle avait été inscrite directement par l’administration nazie dans une école technique pour devenir chimiste car elle avait « trop étudié » pour préparer son émigration aux USA…
Le 14 août 1939, elle et son père conduisirent sa mère à l’aéroport de Berlin d’où elle s’envola pour Londres afin d’y préparer l’accueil de sa fille. Le départ se fit sans effusion particulière, nul n’imaginant que la guerre allait éclater quinze jours plus tard. (à suivre)
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.