Non seulement mon père conservait les courriers qu'il recevait et les doubles de ceux qu'il envoyait mais, dans de nombreux cas, il gardait tout aussi précieusement les enveloppes. Ce qui pouvait au départ apparaître comme une nouvelle et déplorable manie de hamster s'est révélé petit à petit comme une source précieuse d'informations mais aussi comme un puissant moyen d'évocation du passé.
1834 - Pendant longtemps, on ne jeta pas les enveloppes puisque c'est la lettre pliée qui constituait l'enveloppe. Ainsi, je ne sais par quelle magie fut conservée la missive envoyée le 30 janvier 1834 par Franz Chales de Beaulieu de Danzig (sic) à "Mad. Chales" à Kunterstein, son domaine situé en Prusse orientale et dont j'ai déjà parlé. Ce Franz C. de B. est né en 1786 et mort en 1835, il s'est marié en 1826 (après le décès en 1825 de sa première épouse) avec Pauline Wundsch (1799-1871) et c'est à elle ("Pauliene) que la lettre est adressée. Quant à son contenu je laisse à de sagaces visiteurs le soin de m'en livrer le texte (le gagnant recevra une collection complète de cartes postales éditées par mon père...).
1914 - De la même façon, les cartes postales associent "contenant" et "contenu". Objets classiques à ceci près que celles qui circulaient en franchise pour la correspondance avec les soldats du front dépassent parfois la banalité obligatoire de propos. Les deux cartes ci-contre ont été adressées par un cousin et un beau-frère à mon grand-père paternel le 13 septembre et le 2 octobre 1914. Le temps qu'elles arrivent, il avait été tué sur le front, ce que révèle brutalement la mention "tot" au crayon gris et au crayon bleu ajoutée afin de justifier le retour à l'envoyeur. Zurück !
1944 - Avec les siècles, la graphie ne s'est guère améliorée si l'on en juge par la carte adressée à ma grand-mère paternelle et qui l'a suivie de Bad Salzüflen à Bad Lauterberg en septembre 1944 alors qu'elle tente d'échapper aux incessants bombardements. De toute évidence, son correspondant lui envoie des informations généalogiques au sujet d'un Franciscus Edmund Christian de Beaulieu né le 9/11/1709 à Schönbach (?). Il peut sembler bien futile de s'inquiéter de personnes disparues depuis près de deux siècles alors que l'Europe est à feu et à sang et que chacun risque de disparaître dans la tourmente. Mais, faute de l'avoir vécu, qui peut juger du bien que pouvaient faire quelques instants de futilité qui, en parlant du passé, laissaient entendre qu'il y aurait aussi un avenir ?
1950 - On s'écrit encore sous forme de pli mais ma mère qui adresse au moins un courrier par jour à mon père alors qu'elle profite des beaux jours de septembre dans le Loiret ne sait pas qu'elle poursuit une tradition séculaire dans la famille ! Les mails que nous expédions sans compter ne laisseront guère de traces même si on va nous répétant que toute notre activité passant par Internet va s'inscrire au plus secret du cyberespace dans un grand livre que la première police venue pourra utiliser contre nous. Ainsi va la correspondance et se creuse le déficit de La Poste.
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