Il est possible de suivre le parcours de mon père à partir de son arrivée en France grâce aux enveloppes qu'il a conservées. Ainsi, on voit que dès son arrivée en Alsace, il a dû contacter les Quakers britanniques, l'Armée du Salut et les églises et amis avec qui il avait eu des contacts à Londres et à Paris. Mais, de toute évidence, la lettre partie de Londres le 10 juillet 1945 ne le trouve déjà plus chez Madame Heckmann, l'excellente femme qui l'a recueilli et soigné. Elle lui renvoie le courrier à Paris, non sans lui demander au dos de l'enveloppe de lui garder le timbre anglais pour son fils Claude... Ce que mon père a scrupuleusement fait puisque le timbre manque.
La lettre suivante nous permet de le retrouver 9 rue Villebois Mareuil à Vincennes où il est hébergé par la famille Poupion (le gardien du Jardin des plantes dont j'ai parlé dans le livre). Nous sommes encore au mois de juillet. On notera qu'il a déjà adopté son nouveau prénom, Charles, en lieu et place de la première partie de son nom de famille, Chales. On notera aussi que l'enveloppe est à l'attente de la Grande pharmacie du XXe siècle, boulevard de Charonne, dont le pharmacien est le Docteur Beaulieu (et on aimerait connaître la composition de "l'anadipose Beaulieu contre l'obésité" qu'il fabrique et commercialise au prix de "12 fr. la boîte impôt compris".
Dès le mois d'août, mon père a rejoint l'Armée du Salut, rue Cantegrel et c'est là qu'il reçoit son courrier. On peut se demander s'il n'a pas pris le parti de contacter tous les Beaulieu de France et de Navarre pour solliciter une forme de solidarité familiale. En effet, c'est l'entreprise de transports Beaulieu-Gémier qui lui répond. Mais la réponse a disparu. On sait que mon père vend du poisson plus ou moins frais sur le stand de l'Armée du salut et qu'il dispose d'une petite chambre rue Cantegrel. Mais un compagnon de malheur indélicat lui volera le peu qu'il possède.
Enfin, au mois d'octobre probablement, mon père trouve un hébergement durable 25 rue Blanche auprès de la Mission suédoise. C'est là, dans une minuscule sacristie et au milieu des piles de livres et des tas de vêtements qu'il vivra jusqu'à son mariage en mars 1947. Il saura se rendre assez indispensable auprès des réfugiés qui se pressent là et de ceux qui tentent de les aider. Les lettres qu'il reçoit d'Allemagne doivent toute indiquer au dos la langue dans laquelle elles sont rédigées afin de pouvoir être ouvertes sans problème par la censure. On voit ainsi que la lettre de son ami Alfred Haag a été ouverte par les Américains qui occupent le secteur où il vit. De même pour celle de Hanni Mensching (avec son mari pasteur, elle avait contribué à la sauvegarde de Ruth Lilienthal), ouverte par les Anglais et celle de son oncle, Karl Theodor Oelrichs. Après un bref passage au 4 avenue Marceau (attesté par un certificat du concierge), mon père est allé vivre avec sa femme et son fils 28 rue Marcel Royer à Genneviliers dans un tout petit logement avec une chambre, un salle à manger, une cuisine et ,ce qui aurait dû être la chambre de ses enfants mais qui sera son bureau. C'est en 1951 qu'il disposera d'un appartement plus spacieux (4 pièces, 80 m²) au 5 bis rue du Louvre où il restera jusqu'en 1958.
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