Puis-je me permettre un parallèle ? Il y a soixante dix ans, en juin 1939, mon père a été incorporé dans la Wehrmacht comme tous les hommes de sa génération (il faut se souvenir que, de 1919 à 1935, le service militaire n’était pas obligatoire en Allemagne). La majorité des recrues sont déjà pères de famille et disposent d’un métier. Mais on les rassure en leur disant que ce n’est que pour une instruction de trois mois. Leur « instruction » s’achèvera effectivement trois mois mois plus tard : Le 1er septembre 1939, ils participeront tous à l’entrée en guerre de l’Allemagne. Ceux qui ne seront pas tués, ne retourneront en général à la vie civile que six ans plus tard.
Aussi pacifiste et antinazi qu’il soit, mon père n’imaginait pas une seconde le cauchemar qui l’attendait et, comme ses compagnons de caserne, il subissait les brimades des sous-officiers en faisant des projets pour septembre. Aveugles, tous étaient ou se faisaient aveugles à la réalité. Il ne s’agissait déjà plus d’avoir la dérangeante intuition d’un André Breton qui écrivait en 1925 dans un texte intitulé la Lettre aux voyantes : « Il y a des gens qui prétendent que la guerre leur a appris quelque chose ; ils sont tout de même moins avancés que moi, qui sais ce que me réserve l’année 1939 ». Il s’agissait de renoncer, quoiqu’il en coûte, à la probabilité du bonheur et d’envisager le pire.
Sans parler des menaces de guerre (je l’ai fait ici), je m’interroge tous les jours sur l’aveuglement général aux menaces de catastrophe humaine, écologique et politique engendrées par le dérèglement climatique, la crise énergétique et l’effondrement de la biodiversité. Oui, tous les jours. Ce matin c’est à cause de cette « petite » information : « La Grande-Bretagne ne parviendra pas à respecter les objectifs qu'elle s'est imposée concernant les énergies renouvelables, ni ceux fixés par l'UE, selon un rapport parlementaire (en anglais). La part de celles-ci n'est que de 5 % contre les 15 % visés en 2020. » (c’est moi qui souligne). Ainsi donc, même les engagements notoirement insuffisants qui ont été pris ne pourront pas être respectés…
Tous les jours – ou presque – Fabrice Nicolino y revient et comment ne pas partager son coup de blues quand on lit Points de rupture de Fred Pearce (Calmann Levy, 2008). Sans bibliographie ni notes en bas de page, Fred Pearce n’en fait pas moins le tour des experts mondiaux travaillant sur l’évolution des écosystèmes en lien avec le réchauffement climatique. Le résultat est impressionnant en ce qu’il explore les impasses dans lesquelles nous nous engageons allègrement. Un seul exemple : il est de dangereux optimistes qui se réjouissent de voir des terres cultivables apparaître grâce au dégel du permafrost sibérien sans songer une seconde que les quantités de méthane brutalement libérées réduisent à néant les maigres efforts consentis dans le cadre du protocole de Kyoto.
Les plus anciens se souviennent de « La Gueule Ouverte, le journal qui annonce la fin du monde », qui a disparu le premier. Fred Pearce a écrit, sans les dessins de Reiser, hélas, mais avec un argumentaire terrible, le livre qui annonce la fin du monde.
Dis Papa, c’est quand 1939 ?
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