Depuis 1945, le « comment cela a-t-il été possible » a reçu bien des réponses. Leur nombre même souligne qu’aucune n’est satisfaisante. Il en est pourtant de mieux étayées que d’autres, de moins exclusives et de plus dérangeantes. C’est le cas de celles qu’apporte Les exécuteurs, le livre d’Harald Welzer, psychosociologue et directeur du Centre pour la recherche interdisciplinaire sur la mémoire à Essen.
Comme d’autres études l’ont déjà montré, « Dans la foule innombrable de ceux qui ont préparé et pratiqué l’extermination, le pourcentage de personnes perturbées est estimé entre 5 et 10 %, ce qui n’a rien de spectaculaire comparé aux données de la société actuelle ». Il s’agit, pour l’essentiel, de citoyens bien intégrés, aussi normaux que l’on puisse l’être. Ce sont pourtant eux qui ont été le bras armé des crimes de masse.
S’ils apporté leur concours aux arrestations, aux transferts, aux massacres, c’est qu’à partir de 1933, on avait modifié un élément du cadre de référence social qui contenait, notamment par le droit, le racisme, la haine et les désirs d’exclusion. En sortant les Juifs de la communauté humaine puis en accoutumant chacun à des pratiques quotidiennes de mépris, le nazisme à offert à une majorité d’individus la possibilité « de se valoriser aux frais d’une minorité, socialement, affectivement et, très vite, matériellement. » Le dernier point est très important car il explique le fait que les Allemands « anoblis » par leurs origines aryennes, en ont profité pour dépouiller les Juifs d’Europe et se répartir leurs biens. L’Allemagne a connu une période de prospérité qui n’a pris fin qu’avec les premiers graves échecs militaires et ceux qui cherchent à sauver le nazisme par sa « réussite économique » oublient de dire qu’elle est fondée sur la spoliation et l’assassinat de millions de familles.
C’est ce cadre social rassurant qui leur était offert qui explique en partie que, une fois jugés, les bourreaux se perçoivent comme « comme les victimes d’une tâche » que semblaient leur dicter « les circonstances historiques ». D'ailleurs, la très grande majorité d’entre eux n’a « pas souffert, du moins de façon statistiquement significative, d’insomnies, de dépressions, d’états d’angoisse à la différence de leurs victimes survivantes ». Je ne peux m’empêcher ici de repenser à Elmar Brandstetter, s’abritant derrière les horreurs commises par le tribunal du peuple et la légalité de ses actes pour justifier son adhésion pleine et entière à la justice militaire nazie !
Harald Welzer remarque finement que la présence de spectateurs lors des exécutions de masse apportait une réponse sans ambigüité aux éventuelles interrogations qu’auraient pu avoir les exécuteurs, mieux, cette présence valorisait leur courage à mener une tâche qu’ils jugeaient aussi pénible que nécessaire. Elle était même « moralement nécessaire » quand il s’agissait de tuer des enfants dont on avait massacré les parents ! Il y avait dans les actions menées massivement une forme d’autojustification par l’évidence et le consensus.
Harald Welzer trouve dans les massacres de Bosnie et du Rwanda des racines identiques, à ceci près que l’ethnie a remplacé la race. Le mécanisme reste le même à la base : une exclusion du cercle des « humains » autoproclamés. Ne l'oublions pas.
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