Il y avait de nombreux exemplaires de la revue Documents dans les archives de mon père, ainsi que des échanges de courrier avec ses animateurs les plus réputés (Joseph Rovan, Alfred Grosser). Cette revue, créée en 1945, avait pour but de faciliter la réconciliation entre Français et Allemands et poursuit aujourd’hui le dialogue.
C’est donc tout naturellement que j’ai demandé aux éditions Ouest-France d’adresser à Documents un service de presse de Mon père, Hitler et moi, faisant le pari que ses rédacteurs pourraient y trouver un petit intérêt et attirer l'attention de leurs lecteurs sur un livre évoquant largement les problématiques de la réconciliation franco-allemande.
Pari perdu. Un certain Jérôme Pascal vient d’y publier un compte-rendu sous le titre « Chronique familiale » (ici). Après avoir recopié deux lignes inspirées de la quatrième page de couverture (« Franz Chales de Beaulieu, né allemand à Brême en 1913, pasteur antinazi condamné en 1943 par un tribunal de la Wehrmacht pour atteinte au moral de l'armée et décédé français à 94 ans en Bretagne. »), l’auteur tente donner une idée plus personnelle du contenu et note ainsi qu’ « on s'y perd un peu dans les détails de cette famille, dans laquelle l'arrière-grand-mère paternelle descendait d'un enfant illégitime d'un roi de Suède et la grand-mère du grand-père paternel avait eu un fils avec Napoléon. » Aucun lecteur, ni même l’auteur (qui l'assume) ne niera qu’on s’y perd un peu mais, est-il nécessaire de le démontrer au point de transformer la généalogie ? Il n’y a, en effet, pas la moindre filiation directe avec Napoléon (cf. page 33)…
Jérôme Pascal se risque ensuite à affirmer que « L'originalité de l'ouvrage tient surtout dans le nom de son auteur, qui attend de longues pages avant d'expliquer trop brièvement comment la famille Charles de Beaulieu, originaire de Bretagne, s'était établie en 1681 à Dantzig, laissant dans le cimetière d'une commune aujourd'hui polonaise du sud de Kaliningrad un lointain ancêtre décédé en 1725. » J’avais la faiblesse de croire que l’originalité du livre et ce qui en justifiait la publication résidait dans le récit d’une résistance individuelle au nazisme. Un collaborateur de la revue Documents aurait pu juger que « l’originalité de l’ouvrage » résidait le destin d’un Allemand vivant à Paris à partir de 1945 et vivant les paradoxes de la réconciliation. Jérôme Pascal a sans doute trouvé les pages si longues qu’il n’en a gardé qu’un souvenir assez flou, au point de d’oublier que c’est à Londres que la famille a fui en 1681 et qu’elle ne s’est établie à Dantzig qu’en 1707. De même, ce n’est pas dans le cimetière d’une commune que repose mon ancêtre, mais, comme il est dit dans le texte (page 192) et comme le montre une photographie, dans une église paroissiale.
Qu’au terme de son hâtif compte-rendu, l’auteur en juge le titre « quelque peu trompeur », c’est son droit. Mais, ne trouvant pas sous sa plume la moindre évocation de ce qui fait le cœur et la justification du livre (pages 63 à 113), j’imagine qu’il ne les as pas lues et n’a guère pu mesurer le poids d’Adolf Hitler dans le destin de mon père et la façon dont mon père, minuscule grain de sable désarmé, n’en a pas moins considéré qu’il pouvait tenter de faire quelque chose pour infléchir le destin d’Hitler.
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