Parmi tous les sentiments qui submergent l’ouvreur de tiroirs, le déchireur d’enveloppes, le fouilleur d’archives, il en est un qui ne me semble pas avoir été évoqué aussi bien que dans le film d’Orson Welles, Citizen Kane.
Résumons : « Sur la grille entourant le domaine de Xanadu un panneau porte l'inscription "No trespassing" (défense d'entrer). A l'intérieur du château, meurt un homme solitaire. Il laisse tomber une boule de verre contenant une maisonnette enneigée et prononce le mot "Rosebud " (bouton de rose). Une infirmière recouvre son corps. (…) Dans les milliards de caisses laissées à la mort de Kane, des ouvriers viennent faire du vide et jettent des caisses au feu : sous une luge, sur laquelle jouait Kane enfant on distingue le mot "Rosebud". La luge est brûlée et l'on suit le parcours des flammes et la fumée qui s'échappe. Se clôt ainsi la vie d'un homme et l'on repasse à l'extérieur du domaine. » (J. Lourcelles).
Á chaque lettre, photographie, document jeté, comment ne pas être saisi par le doute ? Faute d’avoir le temps de tout lire, faute d’avoir la maîtrise de l’allemand ou de l’anglais pour tout comprendre, le risque est grand de jeter, sinon le secret d’une vie, du moins un vrai témoignage, une révélation, un bonheur oublié. Oui, le risque existe : la preuve est que j’ai trouvé des dizaines de ces petits et grands "rosebud" et que rien ne les signalait à l’attention dans le désordre infernal où ils étaient conservés. Des exemples viendront dans les semaines prochaines et plus encore dès que la question des traductions aura trouvé sa solution.
Cependant, par rapport à tous ceux qui sont confrontés à ce moment si difficile où il faut choisir entre l’effraction et la destruction, j’avoue avoir un avantage : je peux faire quelque chose de la majorité de ces documents en donnant une suite sur ce blog au livre qui n’a pas pu les utiliser. En leur redonnant une seconde vie, je peux faire fonctionner un petit peu – et pas seulement pour moi – la « machine à remonter le temps » dont parle Lydia Flem (Lettres d’amour en héritage, p. 23). L’invention d’H.G. Wells a, de fait, nettement été perfectionnée par mon père : en ne jetant rien, il offre des clefs qui vont souvent bien au-delà de la compréhension de sa vie. Il y a des quittances de loyer de l’appartement que nous occupions à Genneviliers de 1948 à 1951, des tickets de pain qui furent en usage jusqu’en 1947, des listes d’adresses, des testaments, des reconnaissances de dettes avec la mention « jamais récupérée », une condamnation pour « trafic de devises », des factures, des programmes de voyages, des lettres, des lettres et des lettres…
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.