Ce n’est jamais sans une curieuse sensation que j’ouvre des documents portant l’emblème du troisième Reich. Ce fut le cas de l’Ahnenpass de mon père, c’est le cas du passeport établi à Marburg le 26 juin 1937 et prorogé à Berlin en 1938 et 1939. J’apprécie les documents qui me permettent de vérifier les dates mais je ne peux m’empêcher de considérer avec circonspection tout ce qui contribuait au contrôle généralisé des humains.
Le passeport de mon père fait apparaître beaucoup plus de voyages qu’il n’en a évoqués. Je note :
Juillet 1937 : Paris – Exposition universelle
Août 1937 : Londres
Mars 1938 : Autriche et Pologne (Breslau)
Août 1938 : France
Mars 1939 : Italie
Ce qui m’étonne le plus concerne le fameux « tour de Bretagne en vélo » de 1937. Il ne dura sûrement pas aussi longtemps que je l’imaginais puisque le visa du Consul de France à Francfort n’est valable que pour « un séjour de quinze jours et un seul voyage » à « l’occasion de l’exposition internationale de Paris ». Or, mon père est bien passé à l’exposition universelle : j’ai retrouvé une photographie de lui devant le camp de toiles de La Courneuve. Si son compagnon de route vers la Bretagne, Raymond Cauchetier n’avait aucun problème pour boucler un large tour en quelques jours (il me rappelait encore il y a peu qu’il avait gagné des compétitions de cyclisme), mon père a dû recourir plus que prévu à des trains et des autocars pour aller de l’île de Batz à Redon, de Redon à Vendôme puis à Moisdon-la-Rivière pour rencontrer Marc Sangnier.
Par ailleurs, je relève que n’est pas, comme je l’ai écrit dans le livre et sur la foi d’une inscription faite par ma mère sous une photographie, mais en mars-avril 1939 que mon père a visité la Sicile, bien loin de penser à ce qui l’attendait trois mois plus tard.
Mesure-t-on assez combien la guerre fut un véritable gouffre où tombèrent ces étudiants qui vivaient dans l’esprit des auberges de jeunesse et des voyages entre amis aux quatre coins de l’Europe ? Les plus lucides (comme Raymond Cauchetier) et les plus idéalistes (comme mon père) s’étaient au moins forgé une conscience qui les entraîna sur les chemins de la résistance au nazisme.
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