Après avoir été dégradé, mon père a été enfermé à la prison de Torgau-Zinna (en Saxe) pendant trois mois avant d’être envoyé avec un bataillon disciplinaire sur le front de Novorossiisk. Jugé le 16 avril 1943, il est transféré le 18 à Torgau où on lui prend l’ensemble de ses affaires personnelles, montre inclue, et on lui remet ses habits de prisonnier. Il y a environ 3 000 prisonniers à Torgau-Zinna, une des huit prisons de la Wehrmacht, sur laquelle de nombreux témoignages et études ont été publiés (l’un d’eux consacre deux pages au témoignage de mon père : Torgau im Hinterland des Zweiten Weltkrieges. Militärjustiz, Wehrmachtsgefängnisse, Reichskriegsgericht de Michael Eberlein). Plus de mille prisonniers ont été exécutés entre 1943 et 1945.
Tous les jours, mon père est extrait de la cellule qu’il partage avec trois camarades – une chance car ils sont dix dans la majorité des cas). On lui donne pour la journée un petit pain noir, surnommé le « Remmlinger », du nom du directeur de la prison, ancien supérieur du caporal Hitler lors de la première guerre mondiale.
Il doit faire de longues marches d’entraînement ou du terrassement dans divers chantiers dont ceux de l’usine Villeroy et Boch, fleuron industriel de la ville. Je mettrai ici en ligne quand je les aurai retrouvés les courriers qu’il a échangés avec les dirigeants de l’entreprise qui a toujours nié avoir utilisé des travailleurs forcés et n’a jamais versé d’indemnités. Pourtant, bien des témoignages indépendants corroborent celui de mon père. Il avait acheté et lu attentivement les livres sur la forteresse de Torgau.
Dans l’un (Das Torgau-Tabu, N. Haase, B. Oleschinski, 1993), il a souligné en rouge que 167 prisonniers de guerre appartenant à l’Arbeitzkommando L 67 avaient été affectés à l’entreprise Villeroy et Boch en 1941 et que certains avaient pu bénéficier de la piscine (p. 80-81).
Dans un autre (Torgau, ein Kriegsende in Europa, 1995), il relève le témoignage d’une cuisinière de la prison (p.115) qui note qu’en 1944 des prisonniers allemands avaient pris des objets chez Villeroy et Boch.
Les guerres ne s’achèvent jamais. Il faut garder, vaille que vaille, la mémoire de ce qu’elles furent réellement.
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