Toute catastrophe brise les liens. Pour ceux qui ont survécu, il faut retrouver les disparus. Il se dégage une émotion toute particulière des lettres de l’année 1946 conservées par mon père. Chacun donne enfin de ses nouvelles, se réjouit d’en avoir reçu, fait des projets, laisse entrevoir ses espoirs ou son désarroi. Trois lettres d’origines très différentes donnent le ton.
Melitta Chales de Beaulieu ne peut envoyer qu’une carte-lettre de Bochum. Née en 1870, elle vivait encore en Prusse orientale, dans le domaine de Scherockopass où elle était née. Elle a dû fuir devant l’Armée rouge et sa sœur Elise, née en 1862, est morte d’épuisement sur le bord de la route. Mon père avait visité ces cousines de son grand-père avant la guerre. Quatre de leurs cinq frères étaient militaires, le sixième, médecin était mort en 1908, à 42 ans.
Jean-Jacques Foellner qui écrit le 21 juin de Colmar est l’ami alsacien qui a accueilli mon père lors de son entrée en France. Il lui dit qu’il aurait aimé le voir le 23 juin, date anniversaire de leur retour (ce qui signifie que mon père est resté du 8 mai au 22 juin dans le camp de prisonniers de Linz et non trois mois comme j’ai pu l’écrire dans le livre). Il joint une liste de disparus car il pense que mon père peut avoir accès à des informations à Paris.
Annie Halle répond le 25 mai à
deux lettres envoyées par mon père en février. Elle utilise le papier à lettre
de l’association Quäker que mon père fréquentait à Berlin. Elle lui donnera
plus tard des nouvelles de leurs amis. Á cause des zones militaires, tout
déplacement en Allemagne est plus difficile que d’aller en Inde.
Pendant 63 ans, mon père a tenté de rassembler les fragments épars d'un monde qui avait explosé en 1939. C'est sans doute pour cela qu'il ne pouvait plus rien jeter. Les catastrophes prennent-elles jamais fin pour ceux qui les ont vécues ?
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