Parmi les lettres envoyées par mon père à Käte Raviel de 1940 à 1944, il y a des passages plus graves et qui dépassent la dimension individuelle qui prédominait dans les deux notes précédentes.
Ainsi, mon père recopie pour Käte la lettre de l’épouse d’un de ses amis Quakers, Heinz Hagen, dont elle raconte la mort au cours d’un bombardement, quatre jours après son arrivée en permission : « La bombe est tombée le 15 février 1944 et des 35 locataires, il n’est resté que huit survivants. Ma mère était à ma gauche et mon mari à droite. On n’entendait plus rien. Des portes étaient tombées de travers et formaient comme une tente. Ma mère est morte sur le coup. Mon mari a eu la tête fracassée. Il a été sorti 22 heures plus tard et moi 20 heures. Les canalisations d’eau avaient éclaté et j’avais de l’eau jusqu’à la poitrine. On m’a gardé 2 jours à l’hôpital puis, au terme d’un voyage de 38 heures en train, je suis arrivée à Hirsberg. »
Assez souvent mon père parle des Ukrainiens et des Polonais chez qui il est parfois hébergé ou qu’il rencontre. « Le 20 février 1944, il écrit : « C’est un vrai dimanche, il y a de la neige et je suis allé visiter un camarade à l’hôpital. Á côté, il y a un camp de partisans. Les femmes qui apportaient des provisions ont été chassées. J’habite une petite maison avec un camarade chez une vieille femme qui prie sans arrêt. » Il se retrouve ensuite dans une famille ukrainienne « qui est heureuse et on se sent très proches. » Mais les Russes approchent et il doit quitter les Ukrainiens à regret. Arrivé en Pologne, il note : « Les gens ici sont beaux et croyants mais la haine entre les Polonais et les Ukrainiens est de plus en plus forte. Ici, à la campagne, les Polonais vivent mal mais c’était peut-être différent autrefois. Je suis étonné de voir encore l’influence du temps de l’empereur François-Joseph. De vieux hommes me montrent de petites photos où ils portent l’uniforme autrichien en disant qu’autrefois tout allait mieux. »
Il raconte aussi comment il a donné des bonbons envoyés par Käte à un petit garçon « un peu bizarre » et qu’il a été obligé de sécher ses mains avec un torchon tant l’enfant les avait embrassées. « Mes camarades m’ont dit : Heureusement qu’il n’est pas né en Allemagne car il aurait déjà été euthanasié ou castré. »
Le 22 mars 1944, il se trouve de garde avec des SS « qui sont censés changer la situation ici » et il discute avec eux. « Ils sont tous très jeunes et mesurent tous 1,78 mètres. Ils m’ont beaucoup parlé du camp de Matzau près de Dantzig où l’on arrive après avoir été puni. La SS a des manières très spécifiques de traiter l’ennemi et ils sont condamnés s’ils ne le font pas. »
Que dire de plus sinon que nous allons devoir reparler de la SS.
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