C’est en 1974 que mon père a retrouvé la trace de Stephan Troendle (1903-1997). Il avait alors 71 ans et vivait à Lörrach, dans Bade-Wûrtemberg, la partie la plus au sud-ouest de l’Allemagne. Cet homme avait été lieutenant de 1ère classe dans le bataillon de punition où mon père avait été versé après sa condamnation son passage par la prison.
Stephan Troëndle avait plusieurs bonnes raisons de ne pas avoir oublié mon père. Comme le monde est très petit, il se trouvait que le mari de sa sœur, le lieutenant Höner, était mort dans un hôpital en 1914 alors qu’il était sous les ordres du capitaine de Beaulieu (mon grand-père). Il s’en était tout de suite souvenu quand il avait vu le nom de mon père dans la liste du bataillon de punition du FSA 10. De plus, il avait été très étonné de la présence dans le bataillon d’un homme condamné pour des actes d’opposition très concrets, à la fois parce que c’était la première fois que cela arrivait et d’autre part parce qu’il croyait que la diffusion de texte interdits était normalement punie beaucoup plus sévèrement. Il ne s’expliquait pas la clémence du tribunal.
J'ai aussi découvert que c'est Stephan Troendle qui a envoyé à mon père les photographies qu’il avait conservées et que j’ai publiées sous le titre « Juillet 44 en Ukraine ». On trouvera ci-contre un document que je n’avais pas reproduit et qui, comme les autres, concerne donc leur passage entre Novorossisk et l’Ukraine du sud. Comme plusieurs autres photographies, il témoigne d'un regard très particulier puisque Stephan Troendle tente de saisir aussi bien le quotidien du groupe que celui des civils qu'il sont amenés à croiser.
Stephan Troendle veut absolument aider mon père à obtenir des indemnités et à être réhabilité. Il a pris contact avec d’ancien gradés qui, un temps au moins, ont encadré le bataillon de punition. Mais il note que l’un d’eux essaie surtout de ne pas nous aider car il a peur d’être poursuivi à cause d’histoires avec des Juifs. Stephan Troendle rédige donc une attestation.
Pendant plus de 20 ans il échangera encore des courriers avec mon père, suivant pas à pas les étapes de ses démarches pour obtenir justice. Il rédigera une nouvelle attestation en 1996, ce qui fera dire à mon père que personne ne voudrait croire que quelqu’un » qui a 93 ans est prêt à aider quelqu’un qui en a 83 ! »