Comme il y a des kleptomanes, il y a des menteurs compulsifs et il y a des jours où mon père semble passablement atteint.
Mon père avait conservé cinq lettres en français adressées par lui au comte René de Laigue (1862-1942) les 15, 17 et 25 septembre 1937, le 7 novembre 1937 et le 14 juillet 1938 (elles sont écrites de Londres, Brême, et Stuttgart). Elles lui avaient sans doute été renvoyées par la comtesse de Laigue avec qui il avait repris contact après la guerre. Elles font suite, sans aucun doute, à son passage par le château de Bahurel à Redon lors de son périple cycliste de l’été 1937. Ces lettres comportent au moins trois entorses sérieuses à la vérité. Rien de grave, si ce n’est qu’elles ne semblent pas être imposées par des circonstances tragiques comme celles qu’il rencontrera comme Allemand libre à Paris en 1945. Dès la première ligne, mon père s’excuse de ne pas avoir écrit plus tôt « à cause d’une maladie (appendicite) ». Il n’a, bien sûr, jamais été opéré de ce côté-là. Il fait part de ses recherches à la bibliothèque nationale dans quelques armoriaux. Il espère que le comte pourra faire des recherches sur son ancêtre français marié à Dantzig et il précise qu’il à 1 000 francs (soit 500 €) à sa disposition mais « pas plus dans ce moment ».
Dans son courrier du 17 septembre, il remercie pour les lettres reçues et donne une longue liste de ses découvertes réalisées dans le répertoire général de Kerviler (1887), une foule de Beaulieu breton qu’il redécouvrira plusieurs fois par la suite faute d’organiser ses documents. Or, tout est là : de l’Olivier de Beaulieu résidant à Ploufragan, au pasteur César de Beaulieu et même à la succession du « mineur perpétuel par imbécillité d’esprit ». On découvre qu’il a envoyé de l’argent pour les recherches ainsi que des timbres de collection pour la fille du comte. Le 25 septembre, il dit regretter de ne pas avoir pu envoyer plus de 1 000 francs.
Le 7 novembre, entre dix notes généalogiques, il dit que sa sœur serait contente d’avoir des timbres d’Indochine, ne pouvant avouer, semble-t-il qu’il est un collectionneur acharné ! Il conclu en écrivant qu’il est « trop tard aujourd’hui pour corriger toutes les fautes » qu’il a faites et il s’excuse « d’insulter votre belle langue ». Cinquante ans plus tard, il continuait à dire à ses correspondants qu’il n’avait pas le temps de se relire tant cette tâche l’ennuyait et tant il s’estimait ainsi à l’abri de toute critique.
Le 14 juillet 1938, il écrit sans hésiter : « Je vous remercie bien de votre lettre du 22 février. J’avais quitté l’Allemagne pour chercher guérison de mon affection pulmonaire en Sicile. C’est pourquoi que j’ai causé le silence. » S’il est allé en Sicile, c’est pendant les vacances universitaires de printemps et il n’a pas plus souffert d’une affection pulmonaire que de l’appendicite…