Parmi les papiers de mon père, j’ai découvert un livret de 13,5 cm par 21 cm, à la couverture grise ornée d’un aigle héraldique et portant le titre « Der Ahnenpass ». Après la page de titre, on trouve 9 pages d’introduction puis un tableau généalogique résumé (reproduit ci-contre), enfin 34 pages de fiches détaillées et annexes.
C’est le document qui fut rendu obligatoire par la loi du 7 avril 1933 sous le nom d'Abstammungsnachweis (preuve d'ascendance) pour tous les fonctionnaires afin d’éliminer tous les « non-aryens » de la fonction publique. Les lois de Nuremberg du 15 septembre 1935 en ont étendu l'obligation à l'ensemble de la population allemande sous forme de l’Ahnenpass, une sorte de « permis généalogique » certifié par l'état civil ou l'église selon le cas. Il était indispensable pour obtenir des documents officiels, par exemple une carte de ravitaillement. La majorité des citoyens ne remontaient que jusqu'à leurs grands parents ou leurs arrières-grand-parents, mais pour tous les membres des organisations nazies, il fallait remonter jusqu’au début du XIXe siècle, ce que les nombreuses pages du livret permettaient sans peine.
Ce fut, on s’en doute, un jeu d’enfant pour mon père, passionné de généalogie depuis ses quinze ans et disposant de tous les documents nécessaires pour établir la liste de ses ancêtres jusqu’au XVIIIe siècle comme le montre la page ci-contre (j’en profite pour reproduire aussi le portrait d’Andreas Chales de Beaulieu – 1753-1817, réchappé du bombardement de Brême, car, avec trois autres toiles, il avait été prêté pour une exposition).
Mon père a même complété le livret en collant quelques feuillets manuscrits synthétisant les origines géographiques de chaque branche et une note de son oncle sur la présence ou l’absence du « von » pour les Gröning (dont seuls quelques membres ont gardé la trace de l’anoblissement de Georges von Gröning par l’empereur Frédéric-Guillaume III de Prusse). La passion de la généalogie ne l’ayant jamais quitté, mon père a d’ailleurs encore inscrit des noms bien plus tard, au stylo bille bleu, sans plus se formaliser de l’origine du document !
Mais le « jeu d’enfant » était-il si innocent que cela ? En acceptant ce fichage généalogique généralisé, les Allemands ouvraient un boulevard au contrôle et à l’élimination des Juifs, des Tsiganes et de tous ceux dont, à terme, on estimerait le sang impur.
N’étant plus un enfant, mais, par choix, secrétaire général de Bretagne Vivante - SEPNB, je reproduis ci-dessous le communiqué associatif diffusé les jours derniers à propos du décret concernant le fichier Edwige, forme moderne de l’Ahnenpass :
« Ce dispositif est choquant : le fichage généralisé et injustifié d'informations très variées organisé par le décret autorise une intrusion abusive de l'administration dans la vie privée des personnes participant à l'animation du débat public », s'inquiète Raymond Léost, vice-président de France Nature Environnement en charge des questions juridiques. « Il viole tout simplement le principe de respect de la vie privée, garanti par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ».
François de Beaulieu, secrétaire général de Bretagne Vivante-SEPNB considère que « ces mesures garantissent que demain la police pourra étouffer dans l’œuf toute révolte contre la destruction de la planète. C’est une atteinte extrêmement grave contre les fondements mêmes de la vie démocratique ».
Le mouvement FNE est directement concerné par les fichiers EDVIGE : les bénévoles, qui contribuent chaque jour à la protection d'intérêts généraux et enrichissent considérablement le débat public, vont en effet se retrouver fichés automatiquement.
« Comment expliquer aux membres de notre réseau que leurs activités exercés avec générosité, dans le souci des générations futures, justifient que des données automatisées les concernant fassent apparaître leurs origines raciales ou ethniques, leurs opinions politiques, philosophiques ou religieuses, leur appartenance syndicale, ou encore des information relatives à leur santé ou leur vie sexuelle ? » s'interroge Raymond Léost.
FNE considère que les fichiers EDVIGE affectent gravement les conditions d'exercice du rôle d'intérêt général joué par les militants associatifs, en faveur de la protection de la nature et de l'environnement. Les lanceurs d'alerte méritent d'être protégés plutôt que d'être fichés et marqués au fer rouge comme des délinquants. Elle a donc demandé aujourd'hui au Premier ministre, par voie de recours gracieux, d'abroger le décret du 27 juin 2008.
Pour information, il existe une pétition en ligne contre les fichiers EDVIGE. C'est déjà ça.