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Balises: Manfred Schmidt
Je voulais au moins une fois saluer la mémoire d’un des meilleurs amis d’enfance de mon père, le dessinateur et humoriste Manfred Schmidt. Il aurait eu, comme mon père 97 ans cette année puisqu’il était né le 15 avril 1913. Il a été longtemps en classe avec mon père et ils étaient ensemble quant, à 14 ans, Manfred a publié ses premiers dessins dans le Bremer Nachrichten. Il est devenu un humoriste célèbre, auteur de nombreux livres et de milliers de dessins ; son personnage Nick Knatterton est encore bien connu en Allemagne.
Pourquoi vous parler aujourd’hui de Manfred Schmidt ?
Parce que, je n’ai pas encore eu le temps de rassembler tous les éléments
concernant deux ou trois aspects inattendus de la vie d’Herbert ( ?),
Franz ( ?), François ( ?), Charles ( ?) de Beaulieu. J’espère
que certains d’entre eux saurons vous faire sourire et vous montrer que si
Manfred Schmidt a eu une œuvre comique qui lui a valu de nombreux honneurs et
quelques pages dans le livre sur l’histoire du lycée de Barkhof, mon père a eu
une vie comique qui valait bien que j’en fasse un livre et un blog.
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Balises: Manfred Schmidt ; Barkhof
Pour ceux qui prennent ici le train en marche, il ne serait pas inutile de lire d’abord le premier chapitre ici où je raconte comment mon grand-père Franz Chales de Beaulieu a eu un premier fils, prénommé Franz Bodo avec une jeune fille d’Altenburg, Marie H. et que c’est la famille de la jeune fille qui s’était opposée au mariage. Une nouvelle liasse de courrier apporte l’épilogue de l’histoire.
Si mon père avait découvert toute l’affaire dès 1932, il n’en a parlé à sa sœur Gisèle qu’en 1967. D’habitude plus prolixe, il se contente de huit lignes pour lui résumer l’histoire et lui demander d’envoyer deux colis (qu’il lui remboursera au retour de son tour d’Europe) à « la vieille dame » qui a maintenant 86 ans.
En effet, mon père a repris ses recherches depuis peu et il est parvenu à localiser la mère de son demi-frère. Il a pu échanger des lettres avec elle, mais surtout avec sa voisine et amie qui s’occupe de tout. En fait, Franz Bodo est mort en 1955 à Bamberg, sans enfants ni d’autre famille que sa mère qui vit seule désormais à Altenburg, la ville où elle a rencontré mon grand-père. Mais désormais, Altenburg est en RDA et la vie y est bien difficile. Elle ne dispose que d’un petit loyer pour vivre et accueille avec joie la proposition de mon père de lui envoyer un colis. Les deux listes reproduites dans cette page témoignent d’une époque déjà oubliée où du chocolat, du café, des cigarettes avaient une valeur inestimable.
Marie Hey (c’est ainsi qu’elle s’appelle et nul aujourd’hui ne peut donc souhaiter son anonymat) raconte directement ou fait raconter par son amie qu’il s’est bien agi d’une « vraie et grande histoire d’amour ». Le père de Marie Hey était issu d’une famille de paysans mais il était devenu typographe, un métier très qualifié qui lui avait permis d’acheter des terres et deux maisons. Il avait un garçon (mort à la guerre en 1914) et une fille, très jolie et très demandée mais très sérieuse. Elle aurait pu devenir une grande patineuse sur glace et ne fréquentait que les meilleures écoles et les gens riches. Quand son père a appris qu’elle était enceinte d’un jeune sous-officier, il est devenu fou de rage a interdit tout mariage et a tout fait avec des médecins pour qu’elle n’ait pas cet enfant. Mais elle a résisté et décidé de l’élever seule « comme si son père était mort dans un accident ». Mon grand-père est allé deux fois à Altenburg pour voir l’enfant. Il a dit à Marie Hey que si elle ne pouvait pas rendre possible un mariage avec lui, il serait obligé de penser à une autre union. Il a toujours espéré mais elle n’a jamais répondu. C’est sans doute pourquoi, quand il a vu la possibilité d’épouser ma grand-mère sept ans plus tard, il se résigne à faire un accord notarié et à verser 2000 euros à la famille pour éviter tout risque de révélation. Il est très possible que Marie Hey n’ait pas voulu complètement désobéir à son père, choisissant d’assumer son enfant mais renonçant au mariage. Ce qui est certain, c’est que « malgré des demandes nombreuses », elle n’a jamais souhaité se marier, conservant précieusement les photographies de son amant et élevant son fils de son mieux, allant jusqu’à hypothéquer son héritage pour lui payer des études universitaires. Elle ne lui cacha pas son origine et Franz Bodo disait « Le soir, quand je me couche, je me dis que je peux être fier de moi et je veux que mon père soit fier de moi. »
Ainsi donc, soixante-trois ans après sa rencontre avec mon grand-père, Marie Hey pouvait renouer un lien par-delà les générations. Comment ne pas mettre en parallèle la destinée des deux femmes qui ont aimé mon grand-père et qu’il a aimées : toutes deux ont considéré qu’après lui, il n’y aurait pas d’autre homme dans leur vie.
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Il y a des jours où j’hésite à continuer ce blog. Presque tous les jours d’ailleurs. Il suffit pour cela que j’aille lire celui d’Éric Chevillard qui, non content de l’alimenter d’observations sidérantes, parvient à le faire à un rythme quotidien. Le voilà même qui marche sur mes plates-bandes en soulignant à sa manière inimitable l’obscénité de la mise en scène actuelle des camps de la mort.
« Scorsese lui-même dans Shutter Island a recours à ce qu’il faut bien appeler désormais l’imaginaire des camps pour expliquer la folie de son personnage hanté par des images de charniers bleuâtres sous la neige, d’une atroce et douteuse beauté. Pas une semaine sans qu’un cinéaste ou un écrivain ne se transporte bravement au cœur de la Seconde Guerre pour y recruter une ordure ou un héros et nouer son petit psychodrame fictif en détournant une émotion restée vive depuis notre lecture de Primo Levi et notre vision de Shoah. Sincères ou non, leurs évocations ont un effet contraire à celui qu’elles prétendent viser. Elles déréalisent insidieusement les faits en les tirant vers l’allégorie tandis que notre émotion tourne à la délectation morose. Un Oscar pour le décorateur, un Oscar pour la costumière. Tout notre passé ne sera bientôt plus qu’un fac-similé réalisé en studio avec des planches modulables indifféremment utilisées pour les baraquements et les saloons. »
Les derniers témoins s’en vont
et, au prétexte de conserver leur mémoire, des tâcherons tournent sans pudeur
des fictions sans âme là où il faudrait des imprécateurs et des visionnaires.
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Balises: Chevillard
Plusieurs pages du récit de mon père font la liste des multiples conférences auxquelles il participait lorsqu’il était apprenti. Il précise même que, certains soirs, il allait à deux ou trois réunions. Si les sujets religieux et philosophiques prédominent on peut aussi y trouver des mouvements de jeunesse à tendance nationaliste tels que les scouts coloniaux, le mouvement païen de Ludendorff ou franchement pacifistes. Le 14 mai 1932, il va même écouter Hitler et Himmler au Casino central mais ne fait aucun commentaire particulier. Il suit les campagnes politiques, va au théâtre et au cinéma mais sa conclusion est amère : « Cette liste de réunions n’est qu’un résumé pour montrer à quel point je cherchais partout. Mais je n’ai jamais trouvé même si des fois je l’ai cru et souvent c’est vraiment un hasard si je ne me suis pas inscrit à tel ou tel mouvement. Je cherchais à m’évader de mes journées. Je cherchais aussi un équilibre et ne pas être seul le samedi soir. Cela me brisait le cœur de voir les groupes de randonneurs que je ne pouvais pas accompagner pour le week-end à cause de mon métier. » Pendant des vacances, il va même se lier d’amitié avec un nommé Quast, partisan des Jeunesses hitlériennes (créées en 1922) dont ils visitent un campement. Il est même complice d’un vol de drapeau allemand qui vaudra des poursuites à deux des auteurs. Il passe donc tout près du pire.
Il essaie bien d’avoir des conseils pour son avenir auprès de son oncle Siegfried mais il comprend vite qu’il n’a rien a en attendre. De même, son travail pour réaliser un bel arbre généalogique après des rencontres avec des Beaulieu à Berlin et des Gröning à Potsdam laisse la famille indifférente. N’est-il pas mûr pour trouver un père de substitution chez le bon oncle Adolf Hitler ? Il semble que c’est son éducation chrétienne qui y fait barrage puisqu’un peu plus loin, il écrit : « Si je reconnais Jésus comme celui qui me guidera, toutes mes nostalgies de jeunesse vont se calmer. » Ailleurs il dit qu’il avait « un héritage religieux » avec une éducation ainsi que des pasteurs dans sa famille.
Dans les dernières pages, il dresse la liste des « tournants » de sa vie :
« 1. Quand j’ai commencé à fréquenter l’école où j’ai appris que l’enfant sans souci qui ne connaissait que le bien et le mal avait aussi des devoirs. 2. Quand je suis allé à l’école primaire. 3. Ma confirmation (…) mais elle ne m’a pas changé vraiment. 4. 1928, quand je suis rentré chez les Scouts. Cela a changé mon caractère mais cela s’est terminé en 1932 avec des déceptions. Tous mes amis se sont éloignés. 5. Quand j’ai débuté mon apprentissage chez Melchers et que j’ai quitté l’école. (…) j’ai alors commencé à me sentir insatisfait et je suis allé à des réunions pendant tout mon temps libre. Un autre changement est quand j’ai vu Londres et Paris. J’ai cherché alors à satisfaire mon cœur. (Les décès ont-ils changé ma vie : le père et l’oncle ?). Début 1933, le changement fut grand quand on a décidé que je partirais en Angleterre. Ce séjour a beaucoup influencé ma façon de voir ma vie. Même chose pour les trois mois passés à Paris. Ces trois mois pourraient remplir un cahier comme celui-là. »
Hélas, mon père n’a pas rédigé ses souvenirs sur Londres et Paris. Il se contente de donner une sorte de conclusion : « à Paris et à Londres, j’étais très actif mais j’ai toujours connu l’insatisfaction et la nostalgie. Quand on prend ensemble tous les moments de ma vie jusqu’en 1934, on voit que je n’ai pas pris une décision soudaine mais que quelque chose a commencé à évoluer. C’est ce qui a fait que j’ai choisi le chemin religieux. En fait, j’étais dans des circonstances où je me sentais sans espoir et sans personne à suivre. » (…) « Au bureau, de plus en plus, j’avais la pensée que mon destin devait être différent. Mais il fallait que je sois à la hauteur. Si j’étais doué pour ça, il fallait que j’abandonne mon métier même si j’avais travaillé à Londres et Paris pour ça. Je suis revenu complètement désespéré et j’ai essayé d’entreprendre la classe pour passer le bac. Á Noël 1934, tout était possible. Je n’ai rien écrit sur mes doutes intérieurs au sujet de la guerre, du pacifisme et de la théosophie. Ce sera plus détaillé dans mon rapport sur Londres et Paris. Commencé le 31 décembre 1934, terminé le 4 janvier 1935. François de Beaulieu. »
Il me semble que le récit de mon
père éclaire la situation où pouvaient se trouver bien des jeunes orphelins de
guerre à la recherche de leur destin et traversés par de multiples
incertitudes. Son ami Reinhardt Hardegen fera la rencontre d’un capitaine de
sous-marin célèbre, Paul König
(1863-1934) et deviendra capitaine d’U-Boot coulant les navires alliés pendant
la guerre. Beaucoup d’autres suivront le destin tracé par l’oncle Adolf… On a
vu que mon père qui aimait tant la vie de groupe, les camps de plein air, les
chants, aurait pu trouver son compte dans les Jeunesses hitlériennes. Il n’en a
rien été, même s’il n’évita pas l’uniforme de la Wehrmacht. Nul doute que la
rencontre de Dietrich Bonhoeffer fut déterminante mais cette rencontre ne
venait que condenser une curiosité religieuse certaine et un pacifisme plus
fort que le nationalisme. La formation et même les interrogations religieuses n’ont
pas suffit cependant à dissuader des millions d’adeptes du nazisme. Comme le
releva de façon très perspicace le jugement du tribunal militaire qui le
condamna, il avait sans doute, plus que d’autres, reçu de son éducation entre
des femmes une sensibilité qui fit de lui un homme plus idéaliste et plus libre
que d’autres.
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Balises: Brême, nazisme
Le premier grand amour de mon père s’appelait Eva John et je compte bien reparler de cette femme exceptionnelle. Elle a publié des mémoires dans la revue We shall forget : memories of the holocaust sopus le titre « Mischling first degree ». Elle raconte page 62 qu’elle est tombée amoureuse d’Herbert, un jeune théologien qui fréquentait son groupe Quaker. Intégré au Quartier général de l’armée, Herbert y copie des documents qu’il reçoit par ailleurs ou qu’il récupère sur place. Parmi ceux-ci le courrier d’un peintre qui est sur le front et qui donne des détails horribles sur l’exécution d’un groupe important de Juifs par un Sonderkommando. Plus loin, Eva John précise que l’auteur des lettres est mort au front. Mon père, c’est bien sûr de lui qu’il s’agit, a écrit dans la marge : « von Volkhammer »(1). Or, jamais mon père n’a évoqué cet homme et cette lettre. Sans aucun doute, cela fait partie, non des documents saisis sur lui le jour de son arrestation mais d’une lettre qu’il a dû faire circuler en 1941 ou 1942 (rappelons que l’action des Einsatzgruppen sur le front russe ont commencé à partir de l’offensive du 22 juin 1941).
Au dos des photocopies de ses mémoires, Eva John a écrit des courriers à mon père en janvier, septembre et octobre 1995. Elle le remercie du long récit de ce qu’il a vécu et constate que, contrairement à ce qu’elle avait cru, mon père n’a pas été dénoncé mais arrêté. Elle lui demande s’il n’aurait pas un fils écrivain qui pourrait rédiger son histoire ! Elle va même jusqu’à lui faire remarquer qu’il n’a sans doute pas raison de se plaindre du manque d’intérêt de ses enfants pour son passé et qu’il y est sans doute pour quelque chose. Plus je lis les mémoires et les lettres d’Eva John, plus je suis malheureux de ne pas avoir pu échanger avec elle, tant sa lucidité et son amour de la vie sont extraordinaires. Elle va jusqu’à reprocher à mon père de se lamenter du temps perdu pendant les années de guerre : pour elles, ils ont vécu des évènements exceptionnels, en sont sortis vivants et riches de leur expérience.
J’ai, bien sûr, recherché von Vollckamer sur Internet mais sans résultat. En livrant ce nom aux moteurs de recherches, je lui donne une chance de surgir du passé.
(1) J'ai conservé ici le nom tel qu'écrit par mon père mais une lettre retrouvée (voir ici) donne la bonne orthographe, von Volckamer, que je corrige ailleurs.
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Balises: Volckamer